Des hommages à Jacques Grand’Maison
Par Lpbw
TÉMOIGNAGES. La Ville de Saint-Jérôme tient à rendre hommage à l’un de ses citoyens émérites, le chanoine Jacques Grand’Maison.
Malgré le chagrin qui les habite aujourd’hui de le voir partir, les Jérômiens peuvent être fiers des accomplissements d’un tel homme. La Ville de Saint-Jérôme adresse ses condoléances à la famille et aux amis, tout en leur promettant que ce grand Jérômien ne sera jamais oublié», a déclaré le maire de Saint-Jérôme, Stéphane Maher.
Jacques Grand’Maison (1931-2016) : une conscience du Québec
Jacques Grand’Maison, illustre théologien et sociologue du Québec, est décédé le 6 novembre à Saint-Jérôme d’un cancer des os. Il avait bien préparé son départ en nous laissant dans un dernier livre son diagnostic sur l’état des mœurs au Québec :Ces valeurs dont on parle si peu. Il signait ainsi son testament spirituel, dénonçant la superficialité et le manque de repères de la société québécoise.
Ce constat sévère à la fin de sa vie peut sembler pessimiste, mais l’amoureux du pays s’inquiétait du vide spirituel de ses contemporains et de l’héritage à offrir aux nouvelles générations. Tel un prophète du désert, un veilleur d’aurore, il observait la vie à l’ombre des Laurentides, son puits artésien, pour en chercher le sens et discerner les signes des temps.
Lui, le sociologue du quotidien, le théologien du peuple, tenait de ses parents une «espérance têtue», selon l’expression de Gaston Miron. Il partageait avec beaucoup de générosité et de profondeur ce qui le faisait vivre, c’est-à-dire la foi chrétienne qui inspirait son expérience de vie. Certains lui en ont fait le reproche. Son identité de prêtre révélait un malaise religieux qui perdure au pays du Québec.
Il n’y avait pas de cléricalisme et de prosélytisme chez Grand’Maison, mais une ouverture au sacré dans le monde et un prophétisme à incarner dans la cité. Fruit du concile Vatican II, il avait écrit en 1966 L’Église en dehors de l’église. On croirait entendre le pape François invitant les catholiques à aller dans les périphéries de l’existence pour être une Église en sortie.
Le chanoine Jacques Grand’Maison a étudié la société québécoise avec passion durant soixante-ans ans. Il s’est enraciné dans sa région pour mieux rejoindre l’universel. Il a lutté pour la justice auprès des ouvriers, comme à l’usine Tricofil. C’était un penseur dans l’action, avec un souci pour la vie intérieure. Sa cinquantaine de livres émanait de son engagement sur le terrain. Il lui arrivait de se répéter, mais son œuvre s’inscrivait dans la durée d’une fidélité à toute épreuve. Il écrivait par cycles.
D’abord, le cycle du nationalisme et d’une seconde évangélisation, puis celui sur les nouveaux modèles sociaux et les symboliques d’hier et d’aujourd’hui. Ensuite, une série de livres sur l’éthique à l’école, au gouvernement, dans la société. Puis vint la recherche-action de cinq ouvrages sur les tranches d’âge au Québec, passant du drame spirituel des adolescents au confort des baby-boomers. Il parlait au nom de la conscience , quand le jugement fout le camp . Il désirait réenchanter la vie, l’un de ses livres les plus poétiques. Il proposait de bâtir un nouvel humanisme, où le vivre ensemble n’excluait pas les gens d’origines et de cultures différentes, avec ou sans allégeance religieuse, comme il l’a montré dans son essai de 2010, Société laïque et christianisme.
Professeur émérite de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal, où il a enseigné pendant trente-trois ans, Jacques Grand’Maison est resté près des gens et des familles. Il a été curé de la paroisse de Saint-Hippolyte durant 30 ans. Leader de sa région, on l’a souvent invité à se lancer en politique. Il a toujours refusé, se concentrant sur ce qu’il ressentait de l’appel de Dieu au creux de ses contradictions et luttes.
Je termine par une anecdote. Un jour, je reçois un coup de téléphone de Grand’Maison. Il avait lu un de mes articles dans un journal, il me dit simplement : «Jacques Gauthier, vous êtes unique au Québec». Quelle humilité ! Certes, nous sommes tous uniques, mais aujourd’hui le Québec perd l’une de ses consciences les plus incomparables et originales.
Jacques Gauthier, poète et essayiste
30 secondes avec Jacques Grand’Maison
Les lignes qui suivent, je les avais écrites il y a longtemps. Mais je ne les lui communiquai que récemment, dans la foulée de toutes ces gentillesses qui ne visaient qu’à remercier mon grand ami d’avoir préfacé le livre Zigzags et encens. Cela le fit rire, croyez-moi, et il ne chercha nullement à se justifier.
Le chanoine
M’en revenant de la Caisse populaire, je le vis près du portail central de la cathédrale de Saint-Jérôme. En habits sacerdotaux, tenant un gros livre relié, il lâcha à quelqu’un, peut-être le bedeau : «Mais, bon sens, quand est-ce qu’ils vont arriver ?»
Comme tout le monde regardait en direction du salon funéraire Trudel, de l’autre côté du parc, je fis de même et constatai tout de go qu’un cortège funèbre allait se mettre en branle. Je consultai ma montre-bracelet, comme venait de le faire le célèbre chanoine, et j’en conclus, à 11 h 06, que les funérailles débuteraient en retard.
L’œil allumé, impatient, ronchonneur, c’était bel et bien lui, le prêtre le plus connu du diocèse, sociologue et ex-professeur à l’Université de Montréal, auteur prolifique et impliqué dans la communauté depuis toujours. Il est encore, à son âge, une de mes rares idoles vivantes. Mais je ne lui aurai jamais vraiment adressé la parole : trop timide.
Quel tableau ! D’un côté, l’homme d’action si fébrile, piaffant, s’inquiétant presque pour quelques minutes de retard ; de l’autre, un individu ayant rendez-vous avec son service funèbre mais disposant en vérité de l’éternité.
Dans cette scène, emboîtées, imbriquées l’une dans l’autre, quasiment inextricables, mes deux principales passions : l’être humain et le temps. Car les deux ne sauraient être dissociées. Les autres passions, depuis longtemps, je les contrôle. Le danger de se voir aspiré est beaucoup trop grand.
Qu’avait donc à faire de si urgent notre géant à la soutane ? Peut-être une bonne action. Peut-être poursuivre la rédaction d’un livre. Il était beau à voir, Jacques Grand’Maison, dans son désir de procéder. Continuons de nous en inspirer : un vivant stimulant les autres vivants.
Serge Provencher
Une référence solide
Le chanoine Grand’Maison a publié plus d’une cinquantaine d’ouvrages, notamment sur l’éducation et la place de la religion dans le Québec moderne post Révolution tranquille, et fut l’instigateur de plusieurs projets collectifs sociaux et pastoraux. À titre d’auteur ou d’invité à diverses tribunes, il s’est prononcé sur divers enjeux sociaux du Québec, dont le défi des générations et la place des aînés. Son leitmotiv était de toujours questionner ce qui semble une évidence et de toujours expérimenter des idées nouvelles. Il a reçu de nombreux honneurs, dont le Prix Esdras-Minville, le Grand prix de la culture des Laurentides, le Prix du Canada en sciences sociales, un doctorat honoris causa de l’Université de Sherbrooke, et il a été fait Officier de l’Ordre national du Québec. Grand penseur, il a inspiré plus d’une génération de québécois, demeurant toujours une référence solide face aux défis du monde actuel.