J’ai placé ma mère
Par Mimi Legault
Je ne dois pas être la seule à détester l’expression du titre de ma chronique. Mais c’est notre langage et on se comprend. C’est le récit de Marie et de Jeanne, sa mère. Je fais une parenthèse ici pour dire que je n’ai jamais vécu ce douloureux passage parce que mes parents sont décédés rapidement, dont ma mère dans son sommeil. Mais ce que Marie m’a raconté m’a bouleversée. Voici son histoire. Mon père venait de mourir, me dit Marie. Et la maladie d’Alzheimer en était au tout début chez ma mère. Après les funérailles, mon frère me dit : il va falloir placer maman au plus sacrant. Je me souviens de m’être retournée vers lui en lui disant qu’il allait pas mal vite en affaires. C’est pas moi Marie, c’est sa maladie…
François avait raison. C’est vrai qu’il la voyait plus souvent que moi. Je demeurais à deux heures de route et je la visitais lors d’événements ou d’anniversaires. Mais cette fois, je décidai de prendre plusieurs semaines pour m’occuper de cette femme aimante et si douce. Pas si douce que ça quand vint le moment où mon frère et moi avons abordé le sujet d’un déménagement possible. Jeanne fut catégorique, c’était non et non, elle mourrait dans sa belle et grande maison.
Avec le décès de notre père, les symptômes se sont aggravés. Lors de certains soupers, elle disait en parlant de papa : on va attendre les autres… y vont arriver. Le bon côté des choses : ma mère avait un solide coussin qui lui permettait de payer les frais exorbitants qui s’annonçaient à l’horizon.
Mon frère amenait maman en promenade pendant que je vidais les choses de papa et que je faisais du ménage pour alléger le déménagement. Puis, une fois par semaine, je lui faisais visiter une maison d’hébergement qui serait située à quelques pas de chez nous. C’était une belle résidence qui offrait tous les soins pour maman qui en aurait besoin. Notre mère tenait bon dans sa décision de rester dans sa maison, mais à un moment donné, elle a émis un commentaire positif : ce serait mieux pour elle… et pour nous, insistait-elle. L’infirmière nous a avertis : à 89 ans et dans son état présent, tous les changements étaient traumatisants. Je m’en rendais bien compte, j’imaginais les cellules du cerveau de ma mère vaciller et s’éteindre comme des centaines d’étoiles. Ce qui me peinait le plus, c’était de voir Jeanne aller s’asseoir à son piano qu’elle aimait tant et d’être encore capable de jouer de vieux airs comme si papa était vivant. Son piano…
Puis un jour, alors que nous étions en train François et moi, de nettoyer le garage, une voiture de police s’est arrêtée devant notre porte et nous avons aperçu avec effroi maman descendre de l’auto au bras d’un policier qui nous expliqua qu’elle avait fait une fugue alors que nous pensions qu’elle se reposait au salon. À partir de cet instant, tout a déboulé. Il a fallu faire quelques derniers arrangements en vitesse; au milieu du salon, maman nous regardait aller avec un pâle sourire aux lèvres avec une ombre au fond des yeux.
Dans les derniers jours, elle fit le tour de son jardin, mais le cœur n’y était plus. Elle avait cessé de cuisiner, de coudre et même de tricoter. La date fatidique arrive. Ce jour-là, c’est comme si elle venait de comprendre. Le boutte du boutte, c’est moi qui se mit à pleurer et c’est maman qui prit doucement ma main en me disant : là là, ne pleure pas, tu sais très bien qu’on ne peut pas toujours faire ce que l’on veut.
Lorsqu’elle arriva à la résidence, un comité d’accueil l’attendait et tout au fond, elle reconnut mon frère François assis au vieux piano de Jeanne que la RPA avait gentiment accepté de recevoir. Elle vint s’asseoir à ses côtés en lui disant : papa tu es revenu… François se mit à chanter sa chanson préférée : Ma mère chantait toujours…la la la, une vieille chanson d’amour…
La nuit, il m’arrive encore après un an de sentir cette maudite culpabilité, je meurs d’envie d’aller la réconforter, mais j’ai le sentiment que c’est elle dans mes rêves les plus fous qui me tend les bras pour me consoler.