Des hommes en rupture
Par Rédaction
La professeure Diane Dubeau de l’UQO, campus de Saint-Jérôme, est l’une des intervenantes interviewées dans le documentaire Elle m’a quitté à propos des impacts des ruptures amoureuses chez les hommes.
Par Joëlle Currat
L’excellent documentaire de la journaliste et réalisatrice Karina Marceau intitulé Elle m’a quitté (ICI TOU.TV) aide à comprendre comment les hommes vivent une rupture amoureuse. Ceux-ci affrontent la séparation différemment de leurs conjointes, entre autres parce que ce sont souvent elles qui décident de s’en aller.
Avec Stéphane Crête, un comédien impliqué dans des groupes masculins, la réalisatrice donne la parole à des hommes souvent incapables de parler de leur souffrance, puis faisant preuve de résilience. Karina et Stéphane vont aussi à la rencontre d’intervenants du Réseau Maisons Oxygène et d’autres groupes d’entraide pour hommes en détresse.
Diane Dubeau, professeure et chercheuse au département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), campus de Saint-Jérôme, fait partie des nombreux spécialistes qui nous éclairent sur le sujet. Ses travaux de recherche dans les quarante dernières années concernent les pères et la paternité. Elle s’est penchée plus récemment sur leur vécu dans un contexte de rupture conjugale. Elle était donc toute désignée pour nous renseigner sur la condition des pères dans cette situation.
Un phénomène de plus en plus courant
On le sait, aujourd’hui le taux de séparations et de divorces avoisine les 50 %. Si chaque rupture est vécue différemment d’un individu à l’autre, des schémas de comportement basés sur les genres ont pu être établis. « Un des éléments principaux qui rend la séparation plus difficile pour les hommes, c’est que ce sont le plus souvent les femmes qui mettent fin à la relation et qui l’annoncent officiellement. C’est elle qui dit : c’est assez, on se sépare ! », indique Diane Dubeau.
« La conjointe y a mûrement réfléchi et a même parfois déjà entrepris des démarches, notamment sur le plan financier ou pour la garde des enfants. Il y a donc un décalage entre les deux conjoints, l’une s’y est préparée et a déjà amorcé un processus de deuil de la relation, alors que l’autre reçoit l’information et est en état de choc. C’est difficile pour le conjoint d’agir de façon rationnelle sur le moment. Il lui faut un temps d’adaptation pour digérer la nouvelle et prendre des décisions pour la suite. C’est comme s’il est toujours en réaction devant les événements », explique la chercheuse.
En plus, si le couple a des enfants, la vie quotidienne change du tout au tout. « Un conjoint qui avait l’habitude de s’occuper de la préparation des repas, par exemple, fait face à un vide. Les enfants qui auparavant structuraient son quotidien ne sont plus là. Ce qui laisse place à davantage d’ennui, de ruminations, voire d’une augmentation de la consommation d’alcool ou de drogues. » Cela dit, dans la majorité des cas, les séparations se déroulent relativement bien, tient à souligner Diane Dubeau.
« Je ne l’ai pas vu venir ! »
Ce qui est troublant dans le documentaire, c’est que la plupart des hommes interviewés témoignent de leur surprise devant l’annonce de la rupture. Pourtant, le couple montrait des signes de lassitude, d’éloignement ou vivait des tensions et des conflits depuis un bon moment.
« Lorsqu’on poursuit le dialogue avec eux, ces hommes qui se disent pris de cours avouent que cela faisait effectivement quelques mois ou quelques années que leur vie de couple battait de l’aile, explique Diane Dubeau. S’accommodant d’une situation qui dégénère avec le temps sans y remédier, le conjoint va tout à coup être surpris que sa femme prenne la décision d’en finir, parce que pour lui, la situation était encore acceptable. »
Un cycle infernal
Lorsque sa conjointe le quitte, la perte de contrôle, la honte et l’humiliation font partie des émotions qui remontent à la surface chez l’homme. C’est comme s’il perdait toute estime de lui-même, toute sa valeur. Au lieu de reconnaître ce mal-être et de le ressentir, il aura plutôt tendance à se fâcher et à exprimer de la colère, voir à recourir à la violence.
Yvan Phaneuf, thérapeute en relations d’aide et auteur du livre Devenir un homme vrai… plutôt qu’un vrai homme fait aussi partie des spécialistes interviewés dans le film. Il parle d’un mécanisme très toxique qui peut se mettre en place dans une relation et finit par causer sa rupture. Tout commence par la peur de perdre qui engendre une volonté de contrôle du ou de la partenaire. L’autre se sent blessé et étouffe, donc s’éloigne, ce qui intensifie la peur de perdre et la volonté de contrôle qui peut ensuite dégénérer en agressivité et en violence.
Yvan Phaneuf ajoute que la source du malheur de beaucoup d’hommes vient de leur volonté de se conformer à l’archétype du héros, un modèle nuisible, selon lui, puisqu’un héros n’éprouve jamais de besoin affectif et ne les exprime en aucun cas. Il ajoute qu’en général, les hommes attendent beaucoup trop longtemps avant d’exprimer leur souffrance, de par leur éducation et par orgueil.
Les premiers soins
En cas de détresse psychologique ou émotionnelle d’un homme qui vit une séparation douloureuse, il existe un bon nombre de ressources à leur disposition. Les Maisons Oxygène, Pères séparés inc., Homme Aide Manicouagan, le Regroupement des séparés et des divorcés de l’Ouest et Partage au masculin comptent parmi les organismes venant en aide aux hommes vivant une rupture difficile. « Le problème est que, bien souvent, les personnes concernées ne connaissent pas ces ressources, indique Diane Dubeau. Par ailleurs, consulter un médecin de famille peut constituer une première étape sur le chemin de la guérison. Les hommes font en général confiance à leur médecin et les écoutent avec attention. »
La réalisatrice Karina Marceau a déclaré que dans un contexte où les masculinistes occupent désormais un espace médiatique et où le président américain prône « que la force, la compétition et écraser l’autre, c’est ça, être un homme », elle estime que son documentaire Elle m’a quitté, qui fait contrepoids, arrive juste au bon moment.