En agriculture, c’est la diversité qui compte

Par Simon Cordeau

Jérémie Gagnon m’accueille dans son champ avec un casseau de camerises et une paire de bottes. Fier descendant de cultivateurs qui ont colonisé Sainte-Adèle, il fait de la permaculture avec son entreprise Permex sur deux terrains à Val-David et un ici, à Mont-Tremblant. « On a survécu pendant huit générations dans les Pays-d’en-Haut grâce à l’agriculture. Pour moi, ça fait partie de mon patrimoine familial. »

Jérémie gagne surtout sa vie comme pépiniériste. « Je vends l’arbre et l’arbuste. » Il les cultive à partir de la bouture ou de la semence. « Pour les arbustes, j’en suis à ma troisième génération. Pour les arbres, c’est ma première génération, et je produis toutes les semences. »

Mais son champ contient une étonnante variété de plantes, d’espèces et de variétés : sureaux rouges ou noirs, viornes trilobées ou carcinoïdes, pruniers, vignes à raisins, noisetiers, rosiers et autres fleurs, cassis, rhubarbe, et même un arbre qui produit du poivre ! Et tout ça, dans le climat froid et capricieux des Laurentides.

Adapter

Guidé par dix ans d’expérience, Jérémie travaille fort pour que ses plantes s’adaptent et s’épanouissent dans notre climat nordique. Si les plantes en centre de jardin sont arrosées deux fois par jour, ici, « on n’arrose pas », indique-t-il. Cela les rend plus résiliantes. « Elles grandissent même sans arrosage et elles sont capables d’aller chercher leurs nutriments elles-mêmes. C’est un peu comme l’humain : si tu lui donnes trop de confort, il devient paresseux. »

Et le défi est grand avec la météo changeante des Laurentides, autant pour les canicules suivies d’averses intenses que pour la différence de 80 degrés Celsius entre les températures d’hiver et d’été. Mais avec les changements climatiques, cette adaptation est essentielle.

En guise d’exemple, Jérémie me montre un sureau noir. « Il n’est pas supposé pousser ici. Un de mes objectifs, c’est aussi de faire de la migration assistée : d’amener des plantes d’un climat plus chaud et les implanter dans une zone plus froide. Ce que les oiseaux feraient sur des décennies sinon un centenaire, je suis capable de l’accélérer. »

Diversifier

L’un des ingrédients indispensables pour aider cette adaptation, c’est une biodiversité riche et forte. « Plus il y a d’espèces végétales, plus il y a d’espèces animales, et vice-versa. » Jérémie remarque déjà que les plantes qu’il fait migrer attirent de nouvelles espèces d’oiseaux.

Les chênes, qu’il apprécie particulièrement, sont idéaux pour attirer plus d’espèces. « Un sapin, par exemple, va interagir avec 10 espèces. Mais un chêne, ça peut aller jusqu’à 150 espèces qui viennent nicher, habiter ou jouer dedans ! C’est l’espèce qui apporte le plus d’interactions avec la biodiversité. »

Avoir une variété d’espèces végétales permet aussi au champ, dans son ensemble, de mieux se défendre contre les espèces invasives. « Si tu fais de la monoculture, d’une seule espèce, l’insecte arrive devant un buffet, et il n’a pas de prédateur », illustre Jérémie. Alors qu’en créant un écosystème varié, l’insecte peut manger moins, en plus d’être régulé par un prédateur juste à côté.

Par exemple, les hirondelles se nourrissent d’insectes. Mais elles sont en voie de disparition, en partie parce qu’elles nichaient dans les toits de grange, qui se font rares. Pour les attirer, Jérémie construit donc des cabanes. Avec d’autres techniques, comme des filets sur les légumes, les pesticides deviennent inutiles.

Observer

« C’est un grand avantage de la permaculture : prendre le temps d’observer un terrain. Il faut que tu sois là pendant les saisons. » En portant attention au temps d’ensoleillement, aux variations de température, au vent, aux précipitations, mais aussi aux espèces présentes et à leurs interactions, Jérémie peut aider l’écosystème à devenir encore plus résilient. Planter certaines essences d’arbre en bordure permet d’attirer certains oiseaux, mais aussi de faire une haie brise-vent, illustre-t-il. « J’essaie de penser à quoi ça va ressembler dans 10, 20 ou 50 ans. »

Cette vision de l’agriculture demande du temps, de la minutie et de la patience. « Dans la foresterie moderne, on arrive, on coupe, on extrait, puis on replante trois essences. Mais on n’a pas pensé à la dynamique du sol, à la matière organique, à la biodiversité et à plein d’autres facteurs. C’est un équilibre qui a pris des milliers d’années à s’établir ! Avant que la forêt redevienne un système de captation du carbone, ça peut prendre 100 ans. »

Enrichir

Jérémie rappelle que, dans les pays nordiques comme ici, jusqu’à 80 % du carbone se retrouve dans le sol. Il faut donc nourrir la terre autant qu’elle nourrit nos cultures, sinon on risque de l’appauvrir. « Avec la culture, on va extraire des minéraux, des nutriments et de la matière organique de la terre. Mais plus il y a de matière organique dans le sol, plus la terre retient de nutriments et d’eau. Et ça, c’est un avantage incroyable. »

Les plantes variées ont donc aussi différentes fonctions. Certains arbres, par exemple, vont capter l’azote dans l’air et le séquestrer dans le sol, où les autres plantes pourront l’utiliser. « Dans certains systèmes de permaculture, on va commencer avec 80 % d’espèces fonctionnelles et 20 % d’espèces comestibles. Pour que, 10 ans plus tard, on finisse avec 80 % de comestibles et 20 % de fonctionnelles », illustre Jérémie.

L’objectif : développer et entretenir un sol « lourd », oxygéné et en santé, qui ressemble à du couscous lorsqu’on le manipule.

Goûter

Pour maximiser ses cultures, Jérémie ne plante pas que des espèces différentes. Au même endroit, il plantera aussi différentes variétés de la même espèce.

On s’arrête près des camérisiers pour en cueillir les baies violettes arrivées à maturité. C’est juste le bon moment, avant que les oiseaux les mangent. « J’ai dix sortes différentes, et mon objectif est de travailler des nouvelles variétés dans le futur, par la pollinisation croisée. » Dans chaque arbuste, les camerises ont une forme et un goût un peu différents. Celles-ci sont entre le bleuet et le raisin vert, alors que celles à côté tirent plutôt vers le raisin rouge.

Sous les arbustes, on voit des baies tombées au sol, « perdues » à cause d’une grosse pluie la veille. Mais bon : elles serviront à fertiliser le sol de nouveau, relativise Jérémie. Ici, rien ne se perd.

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