« Le bois a une histoire »
Par Simon Cordeau
Dans son atelier de Morin-Heights, Taylor Lukian travaille le bois pour construire des maisons en bois rond, comme son père avant lui. « C’est difficile de mettre un titre sur ce que je fais. Je suis spécialiste du bois massif. »
« Mon père, Doug Lukian, était parmi les premiers à construire des maisons en bois rond ici. Il a appris d’Allan Mackie, sur la côte ouest. Mackie a fait le tour du Canada pour étudier les maisons de bois rond et quelle est la meilleure technique. Il a appris de Victor Nymark, entre autres, et il a fait une école », raconte Taylor.
« Rendre hommage à la forêt »
Toutefois, la tradition des maisons en bois massif se perd, regrette le charpentier. « De moins en moins de gens travaillent à la main. On voit plutôt des machines qui font la job. Mais je trouve important de rendre hommage à la forêt et de garder ça en vie. »
Pour 90 % du travail, Taylor utilise une scie à chaîne. Le dernier 10 % se fait à la hache et au ciseau à bois, pour plus de précision. « Et c’est plaisant de prendre une pause de la scie à chaîne. »
Selon lui, le bois travaillé à la main a un charme unique, un côté « poétique et romantique » qui se perd dans une usine standardisée. « C’est la différence entre un poteau de téléphone et un bel arbre. » Taylor sait bien qu’il doit rester compétitif avec les maisons préusinées. « Mais il se passe quelque chose quand tu es devant un grand billot, avec juste une hache dans les mains. C’est un beau moment de travail. »
L’essence du bois
Pour ses maisons, Taylor utilise presque uniquement du pin blanc. « C’est un bois qui est assez prévisible, qui pousse gros, long et droit. » Il aime le bois « qui a du caractère », mais « pour un mur de 40 pieds, ça prend un billot de 50 pieds de long pour commencer à travailler », explique-t-il. Ainsi, il lui faut du bois le plus uniforme possible, qui a moins de risques de se tordre, de bouger ou de s’écailler. « Selon moi, si tu prends les 20 caractéristiques dont tu as de besoin, c’est le pin blanc qui coche le plus de boîtes. »
Surtout, c’est un arbre qui pousse ici même, au Québec. « J’ai une théorie selon laquelle, si tu prends du bois qui pousse ici, la maison va mieux réagir à la météo et aux intempéries. » Il lui arrive aussi d’utiliser de l’épinette, et parfois du pin rouge. « Tant qu’à acheter du bois de Colombie-Britannique, même s’il était de qualité supérieure, je préfère supporter ma région et acheter local. »
Par contre à l’intérieur, où l’environnement est contrôlé, il aime mélanger les essences d’arbre. Il travaille alors avec de plus petites pièces de bois, ce qui lui permet de mettre en valeur du bois plus irrégulier, qui a du caractère. « Ça revient au client, selon le look qu’il veut. Si tu veux quelque chose de plus pâle, tu peux aller vers le frêne. L’érable a une teinte rose. » Si l’effet recherché demande du bois trop dispendieux, il y a aussi l’option de teindre un bois plus abordable, ajoute Taylor.
Bois antique
Taylor aime particulièrement travailler avec du bois antique, comme des vieilles poutres de grange. « C’est tellement cool : c’est comme si tu donnes une troisième vie à l’arbre. Ce sont les projets qui m’intéressent le plus, même s’ils m’intéressent tous. »
Cependant, cela amène beaucoup de contraintes, et demande de l’essai-erreur. « On travaille avec du bois qui n’est pas uniforme. Mais d’habitude, les gens veulent que ce soit uniforme. » Il peut donc utiliser du bois standard en-dessous, et mettre du bois antique laminé par-dessus. « Grâce à mon expérience avec le bois rond, j’ai été capable de développer cette technique-là. Comme ça, la surface que tu vois a du caractère. Bref, même si tu as une poutre carrée, tu dois l’approcher comme une forme abstraite. »
D’ailleurs, certaines des maisons sur lesquelles il travaille ne sont pas des « vraies » maisons de bois rond : ce sont en fait des colonnes d’acier qui forment la charpente. « Mais le client veut du bois. Donc je prends du bois, je le coupe et le taille, et je le mets par-dessus l’acier. » De la même façon, il peut ajouter des poutres de bois antique à l’intérieur, qui seront alors décoratives sans être portantes.
Bâtir pour durer
Au moment de notre entrevue, Taylor travaille de son « petit atelier » d’hiver, dans un sous-sol. « Je suis en train de couper la charpente pour une maison. Ça demande de la gestion pour l’espace. » Mais le reste de l’année, il partage un atelier plus grand, avec une grande cour. « Ça permet de faire des plus gros projets. »
Pour le menuisier, les maisons de bois rond sont intemporelles. « Si le bois peut respirer, il n’y a aucune raison que la maison ne puisse pas exister encore dans 500 ans. En Europe, tu peux visiter des vieilles maisons en bois, qui sont bien protégées. »
Et cette durée dans le temps va aussi de l’autre côté, vers le passé. « Le bois, les arbres ont une histoire. Quand tu prends du bois antique, la grange peut avoir été construite en 1875. Mais l’arbre qui a été utilisé pour tailler ces poutres-là, il peut lui-même avoir 100 ans. Alors il existait déjà en 1775. Donc quand on récupère ce bois-là et qu’on le retaille, il a déjà tellement d’histoire. »