(Photo : Zone 3, François Desaulniers)
L'équipage du Romano Fafard, de Dans une galaxie près de chez vous.
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Canal Famille : l’écran d’une génération

Par Simon Cordeau

Le livre Génération Canal Famille raconte l’histoire de la chaîne jeunesse québécoise qui a marqué toute une génération et qui était en ondes de 1988 à 2000. Ses 350 pages sont remplies de nostalgie, de témoignages, de photos d’archives et d’anecdotes touchantes et cocasses. Pour le rédiger, les auteurs Simon Portelance et Guy A. St Cyr ont réalisé des entrevues avec 250 artisans et ont documenté les 52 productions originales de la chaîne. « On savait que le Canal Famille était culte, que les gens attendaient un livre comme ça. Mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit autant que ça! », s’étonne Simon de la popularité de l’ouvrage.

Le livre contient même les différentes grilles horaires de la chaîne. Celles-ci ont servi de point de départ pour la recherche sur les émissions présentées sur Canal Famille, explique Simon. « On a passé beaucoup de temps à la médiathèque, à fouiller des dossiers de presse et des archives de journaux. On voulait trouver le plus d’information possible sur le Canal Famille avant même de faire des entrevues. »

Commencer avec rien

Gregory Charles et Marie-Soleil Tougas, dans Les Débrouillards. (Crédit : Zone 3)

Ce qui étonne, en lisant la genèse ces émissions cultes, c’est le peu de moyens avec lesquels elles ont été réalisées. Les budgets sont très limités et les journées de tournage, longues et difficiles. « On le savait : tu le vois dans les archives. Mais on ne se doutait pas à quel point », raconte le coauteur.

À l’époque, les téléviseurs à écran cathodique camouflaient les défauts de l’image et les décors à bas budget, rappelle Simon. Aussi, revisitez ses souvenirs avec un regard d’adulte change évidemment sa perception. « Radio-Enfer, on pensait que c’était dans une vraie école. Mais c’est trois murs en carton. Pareil pour Dans une galaxie près de chez vous. On y croit parce que les acteur y croient. »

Lorànt Deutsch et Jessica Barker, dans Les Intrépides. (Crédit : Michel Gauthier)

D’ailleurs, on reconnaît à travers les pages bon nombre de visages de la télé québécoise, qui sont passés par Canal Famille ou qui y ont fait leurs débuts. Guy Jodoin, Claude Legault, Jessica Barker, Bruno Blanchet, Michel Charette, Joël Legendre, Élyse Marquis, Charles Lafortune, Anne Casabonne, Gregory Charles, Pascale Bussières… « C’était une école incroyable pour les acteurs et les réalisateurs débutants. Canal Famille était une belle pépinière de talents. Et ils faisaient de la télé sans prétention. Personne n’y allait en pensant devenir une vedette. Ils avaient vraiment un désir de faire de la création, de la télévision », raconte Simon.

En fait, les moyens limités et le rythme effréné donnent une grande liberté aux artisans, qui peuvent être créatifs et prendre des risques. « Ç’a fait une génération de comédiens et d’animateurs incroyables. Ils ont commencé en bas, avec rien, et ils ont fait leur place en travaillant fort », soutient le coauteur.

Une télé avant-gardiste

Bruno Blanchet et Guy Jodoin, dans Le Studio. (Crédit : François Desaulniers)

Malgré cette grande liberté, Canal Famille est guidé par une politique stricte et avant-gardiste : le sexisme, le racisme et la violence y sont proscrits. Au contraire, on fait une place privilégiée à la diversité, surtout pour les enfants qui participent ou assistent aux émissions. « Aux Zigotos, il y avait des enfants grands, petits, blancs, noirs, avec un hijab, certains plus physiques, d’autres intellectuels. Tout le monde pouvait aller aux Zigotos. Et c’était pareil pour Pin-Pon. » Simon souligne que cela était très efficace et bénéfique pour les enfants. « Des fois au Québec, tu étais le seul dans ta ville à être différent. Et là, tu te reconnaissais à l’écran », illustre-t-il.

L’auteur rappelle que nous sommes alors à la même époque que Piment fort, qui poussait des blagues plus osées, dont certaines passeraient plus mal aujourd’hui. « Le Canal Famille élevait la barre. Il montrait que tu peux être irrévérencieux et baveux sans être blessant. C’était une télé vraiment avant-gardiste. »

Cela permettait aussi à la chaîne d’être audacieuse et créative, mais sans dépasser la ligne. Les émissions étaient éducatives, mais sans être didactiques. On osait aborder des sujets plus délicats, comme Bibi et Geneviève qui parlent de sexualité. « Canal Famille faisait confiance à son public. Ça nous manque aujourd’hui. » Simon déplore que, maintenant, les productions jeunesses sont souvent trop prudentes. Cela infantilise le public, qui décroche, et crée des oeuvres plates, sans richesse. « Je vais réécouter des épisodes de Radio-Enfer et de Dans une galaxie jusqu’à 80 ans. Quand tu es jeune, tu ris du burlesque. Quand tu es plus vieux, tu pognes les subtilités et les références culturelles », illustre-t-il.

Contenu étranger

Outre les nombreuses productions originales d’ici, Canal Famille diffusait aussi beaucoup d’acquisitions étrangères, produites en France, aux États-Unis ou ailleurs au Canada. D’ailleurs, les animes japonais peuvent étonner par leur quantité et leur contenu. Lady Oscar traite de la Révolution française, Les Aventures de Tom Sawyer adapte les écrits de Mark Twain, Boumbo la petite automobile, Anne aux pignons verts adapté d’un roman canadien, le classique MiniféeLes Trois Mousquetaires raconté avec des chiens…

Dans son programme scolaire, le Japon veut montrer autre chose que la culture japonaise, indique Simon. On y présente donc des histoires occidentales. Les animes permettent aux enfants de voir ces histoires à la télévision, et au Japon d’exporter ses oeuvres, comme aux États-Unis par exemple. Lorsque Canal Famille entre en ondes, ces séries ont déjà été diffusées ailleurs dans le monde, donc leur coût d’acquisition était moins cher, explique Simon.

Avec le temps, les animes japonais ont « fondu » dans la grille horaire de Canal Famille. « À la fin des années 1990, le Japon produit des séries comme Dragon Ball Z, les Power Rangers et Pokémon. C’est une époque qui brassait plus, où les dessins animés étaient plus violents. Aujourd’hui, on trouverait que ça reste une violence assez bon enfant. Mais à l’époque, c’était assez mal vu au Québec. »


Questions éclaires à Simon Portelance

Ton émission préférée

C’est dur de départager entre Dans une galaxie près de chez vous et Radio-Enfer.

L’émission qui te tapait sur les nerfs

Maudit que c’était plate, Le vent dans les saules. C’est lent, il se passe rien. Ça semble unanime que c’était l’émission la plus plate.

Ton personnage préféré

Le duo Pinpin et Ponpon. Ce sont des acteurs tellement clownesques. Des jeunes de 9 ans écoutaient l’émission en cachette, juste pour le sketch du début.

Une anecdote marquante

La fois où Charles Lafortune et Isabelle Brouillette sont allés dans un camp de nudiste pour Zone de turbulence. Le thème de l’émission, c’était les poils. Ils ont dit : « On le fait uniquement si toute l’équipe technique le fait aussi. » Bien sûr, tout était brouillé. Mais il paraît qu’un moment donné, il y a une voiture qui passe, et dans le reflet, on voit très clairement les fesses de Charles Lafortune. C’est probablement la fois où Canal Famille a été le plus irrévérencieux.

La ligne que tu dis encore

« Là, y’est assez tard. Va te coucher, bon soir! » C’est un running gag entre le coauteur Guy et moi. Bruno Blanchet jouait le gros Lucien, qui raconte des histoires aux enfants. Et les sketchs sont tellement drôle.

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