Photo : Monia Proulx

L’urgence, la rue et le nouveau maire : un infirmier qui ne voulait pas devenir porte-parole

Par Philippe Leclerc

Justin Dubois n’est pas un militant. Il est infirmier à l’urgence de l’hôpital régional de Saint-Jérôme. Soir après soir, il a vu défiler des malades et des proches préoccupés. Aujourd’hui, il voit surtout une chose : l’urgence sert de halte-chaleur.

Un soir, un homme en grande détresse le suit dans le corridor. Menaces, tension, crachat en plein visage. Justin garde son calme, recule vers le triage, referme la porte juste à temps. De l’autre côté, l’homme cogne, hurle. La salle d’attente regarde, figée. La sécurité met près d’une heure à arriver, faute de ressources.

Des personnes en situation d’itinérance sont amenées là parce que les autres ressources n’en veulent plus, ou ne peuvent plus. Trop intoxiquées, trop désorganisées. Alors on les mène au seul lieu qui ne peut pas dire non : l’hôpital. Pour lui, c’en est trop. Il lance une pétition intitulée « Réviser l’accès à l’urgence de l’hôpital de St-Jérôme », déjà signée par près de 1500 personnes.

Ce que dit vraiment la pétition

À la base de la pétition, il y a cette cohabitation forcée dans la salle d’attente entre des gens malades, des familles inquiètes et des personnes en situation d’itinérance qu’on ne sait plus où diriger.

Les ressources existent, mais elles ont des critères. Intoxication, désorganisation, crises? On refuse. Alors la police fait ce qu’elle peut. Tant qu’il n’y a pas de crime, on propose un autre endroit. Cet endroit, trop souvent, c’est l’urgence. On dépose, on s’en va.

Résultat : des gens dorment dans la cafétéria, dans les toilettes. Une mère ouvre la porte de la salle de bain avec son enfant et trouve quelqu’un couché au sol. Elle ressort, sous le choc, sans comprendre ce qui se passe dans son hôpital.

La pétition ne demande pas de sortir les itinérants de la ville. Elle demande un accès sécuritaire et humain à l’urgence pour tout le monde : personnel, patients, visiteurs, personnes sans toit.

Les solutions proposées sont simples. Une halte-chaleur à l’extérieur de l’hôpital, pensée avec la Ville et les organismes. Une équipe mobile qui va vers les gens dans la rue, avant que la crise éclate dans la salle d’attente. Une présence psychosociale 24 heures sur 24 à l’urgence, surtout la nuit. Et un protocole entre le CISSS, les refuges, la police, les organismes, pour arrêter de se renvoyer la détresse d’une porte à l’autre.

En gros, Justin demande qu’on arrête de bricoler avec la misère humaine dans la salle d’attente. Qu’on se donne des lieux et des personnes pour l’accueillir autrement. Avec les centaines de millions promis pour lutter contre l’itinérance, cet appel devrait résonner.

Le paradoxe du Book Humanitaire

Le nouveau maire de la capitale régionale, Rémi Barbeau, a répondu à Justin. Il a promis de le rencontrer et de réunir la Ville, le CISSS et le service de police. C’est une bonne nouvelle, mais ce devra être plus qu’une poignée de main et une belle photo.

Parce que pendant qu’on signe pour sortir l’urgence de son rôle de refuge, la Ville de Saint-Jérôme poursuit le Book Humanitaire. Un organisme qui nourrit, écoute et accueille une partie de cette détresse à l’extérieur de l’hôpital.

Pour des questions de zonage et de permis, on lui envoie des constats d’infraction qui finiront en quelques milliers de dollars d’amendes. De l’argent qui ne servira pas à remplir des assiettes, mais à apaiser un règlement.

Les élus de la Rivière-du-Nord comme des Pays-d’en-Haut ne pourront pas régler tout en une réunion, mais peuvent choisir de quel côté de la porte ils se tiennent.

D’un côté, une urgence qui joue au refuge, des soignants qu’on envoie se faire cracher dessus, des familles qui ne reconnaissent plus leur hôpital. De l’autre, le Book Humanitaire, petit organisme qui nourrit et écoute des gens en grande détresse, et que la Ville traîne en cour pour du zonage.

Plus le Book Humanitaire sera solide, moins la misère d’ici et d’ailleurs finira dans les corridors de l’urgence, et moins l’hôpital régional servira de halte-chaleur. Et plus Justin et ses collègues pourront revenir à ce qu’ils voulaient faire : soigner du monde, pas gérer ce que les villes et le gouvernement refusent de regarder en face.

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