(Photo : Courtoisie)

Les aventuriers de l’extrême nord

Par Joëlle Currat

Dans le film Marche au pays réel, on suit deux aventuriers parcourant près de 3 000 kilomètres à vélo et en skis, partant du sud du Québec jusqu’à son point le plus au nord, au cap Anaulirvik.

Des territoires vierges, des paysages grandioses, des rencontres inoubliables. Mais aussi le froid extrême, la fatigue accumulée et le découragement qui guette au détour du chemin. Les aventuriers Samuel Lalande-Markon et Simon-Pierre Goneau ont réussi l’exploit de rallier le sud du Québec à son point le plus au nord sur 2960 km, à vélo et en skis, en plein cœur de l’hiver. Leur périple débute en février 2023 à la borne kilométrique 720, monument en forme d’obélisque situé à la frontière avec les États-Unis, et se termine au cap Anaulirvik, le point le plus septentrional de la péninsule de l’Ungava. Au fil d’une expédition de 91 jours, ils partent à la rencontre du pays dans toute son immensité, sa splendeur et son impétuosité, pays qui se révèle soudainement moins abstrait, moins distant, plus réel. Sur les grandes routes nordiques, construites pour faciliter l’accès aux ressources naturelles, puis dans les étendues blanches d’Eeyou Istchee et du Nunavik, ils font des rencontres marquantes avec des membres des communautés cries et inuites. Entrevue avec Samuel Lalande-Markon, un aventurier, auteur et musicien qui n’a pas froid aux yeux.

Samuel, qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer ce défi qui semblerait insurmontable pour la plupart des gens ?

Le sport et l’aventure ont toujours fait partie de ma vie. Depuis 2018, j’ai entrepris un cycle de traversée du Québec. Ce voyage représente la conclusion d’une trilogie, puisque j’avais déjà parcouru la distance Montréal – Kuujjuaq à vélo. J’avais également sillonné la Province d’Est en Ouest en partant de Blanc-Sablon pour rejoindre la Baie-James. Ce troisième volet était plus ambitieux à plusieurs égards, d’abord parce que le trajet se faisait en plein hiver et que la distance, donc la durée, était plus grande.

Quels étaient les principaux défis rencontrés sur votre route ?

Les défis à relever étaient différents selon les régions et le mode de transport. Lorsque je faisais du vélo, la cohabitation avec les véhicules était problématique. En plus, les accotements étaient souvent remplis de glace et de sloche. Ensuite, après avoir dépassé le Nord de l’Abitibi, c’était le fait de vivre continuellement dans le froid intense. Le succès d’une expédition repose également sur l’entente entre les participants puisqu’on vit ensemble 24 heures sur 24. Heureusement, tout s’est bien passé avec Simon-Pierre Goneau. Et sur le plan de la logistique, il fallait parfois se synchroniser avec les communautés locales et l’équipe de tournage du film.

Avez-vous fait des rencontres mémorables ?

Les plus marquantes étaient fortuites et se déroulaient souvent un ou deux jours avant d’arriver dans les communautés. Des chasseurs cris et inuits très accueillants venaient nous rejoindre en motoneige. Ils nous offraient de la viande et nous informaient au sujet des meilleurs itinéraires à suivre. Nous sommes retournés dans les communautés locales en mars 2024 pour y tourner des entrevues qu’on n’avait pas pu réaliser lors de l’expédition. C’est à ce moment-là que nous avons pu tisser des liens plus profonds avec eux.

Quelles sont les principales prises de conscience que vous avez eues lors de ce voyage ?

Quand on utilise des ressources énergétiques dans le Sud, on ne connaît pas l’impact que cela peut avoir sur les communautés autochtones. On prend une douche chaude ou on stocke des données dans l’infonuagique, par exemple, sans se rendre compte qu’il y a des gens vivant à côté d’installations hydroélectriques implantées sur des terres ancestrales inondées. Par ailleurs, les membres de ces communautés ne se sentent pas intégrés dans le Québec. Il y a pourtant dans cette culture une sagesse dont on pourrait s’inspirer pour faire face aux enjeux actuels de notre société, dont un rapport plus harmonieux avec le territoire.

Dans le film, vous parlez beaucoup du lien au territoire nordique et de la nordicité. Comment définiriez-vous ce terme ?

Je vais reprendre les termes du géographe Louis-Edmond Hamelin : celui-ci parle du caractère holiste du Nord, dans le sens que beaucoup de choses sont intégrées les unes dans les autres. L’humain fait partie du territoire, les deux sont reliés. Cette vision s’oppose à la conception du monde moderne où les gens sont séparés des objets, de la nature.

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