(Photo : Archives - Dominique Hamel)
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Sentiers patrimoniaux : reconnecter les Laurentides par le ski

Par Simon Cordeau

Reconnecter et pérenniser le réseau de sentiers patrimoniaux des Laurentides : voilà l’objectif que se sont donné des mordus de ski nordique, tel que nous le rapportions en février dernier. Près d’un an plus tard, le projet est bien amorcé. Mais bien des pièges les attendent pour la suite. Entrevue avec Daniel Bergeron, membre du CA de Plein-Air Sainte-Adèle (PASA); André Goulet, de l’Institut des territoires (IDT); et Marie-France Lajeunesse, directrice générale de la Société de plein air des Pays-d’en-Haut (SOPAIR).

Depuis un an, les nombreux acteurs du milieu ont été approchés, et M. Bergeron se réjouit de l’enthousiasme presque unanime face au projet. « Il y a des gens qui sont craintifs, mais pas d’ennemi. » De 15 à 20 municipalités, 3 MRC, 5 ou 6 élus provinciaux, les élus fédéraux et même plusieurs propriétaires approchés ont manifesté leur soutien. Quelques donateurs privés apportent aussi une contribution financière.

Identifier

Carte des sentiers en 1940-1941.

La première étape était d’identifier les principaux sentiers à pérenniser. Le projet en a retenu 13. La Maple Leaf, qui reliait jadis Prévost à Labelle, servira de sentier pilote. « On a mis l’emphase sur les sentiers qui vont relier les municipalités entre elles », explique M. Bergeron. L’objectif est de créer une colonne vertébrale, à laquelle viendront se greffer les sentiers locaux. Les parcs linéaires du P’tit Train du Nord et du Corridor aérobique serviront aussi d’encrage à ce grand réseau interconnecté.

En parallèle, la SOPAIR développe des « boucles blanches » : des itinéraires qui prennent un, deux ou trois jours à compléter, explique Mme Lajeunesse. Ces parcours agrandissent le réseau, et recréent l’expérience d’autrefois : celle de parcourir la forêt sauvage, accidentée, comme un pionnier.

Il fallait aussi identifier les endroits plus problématiques, où il sera plus difficile de faire passer les sentiers. Dans leur démarche, ils s’inspirent du club Conservation Manitou, qui trace des sentiers à Ivry-sur-le-Lac. « Ils opèrent vraiment sous les radars. Il n’y a pas de carte publique pour leurs sentiers. Tu dois devenir membre du club, et ils doivent te connaître. Puis tu as droit, avec un code d’éthique, à la carte », illustre M. Goulet.

C’est d’ailleurs pourquoi le tracé des sentiers ne sera accessible à tous que lorsqu’il sera établi et protégé. « Dès qu’on met une ligne sur une carte, ça soulève les passions. Surtout chez l’interlocuteur qui est peut-être le plus important : le propriétaire de boisé privé », indique M. Goulet.

Rassurer

« Le respect de la propriété privée est au cœur du projet. Les propriétaires ne sont pas la source du conflit : ils sont la solution », souligne d’entrée de jeu M. Goulet. Certains sont craintifs, reconnaît M. Bergeron. « C’est souvent de la méconnaissance. Le propriétaire ne sait pas qu’un sentier passe chez eux, que c’est centenaire et que c’est utilisé par des skieurs. »

Il faut donc les rassurer. « Ils peuvent en tirer une fierté. Ça nous est arrivé dans plusieurs cas », continue M. Bergeron. Mais d’autres persistent dans leur résistance. Il faut alors redessiner le tracé pour les contourner. « Ça fait partie de la boîte à outils », précise M. Goulet.

Dans tous les cas, le tracé exact du sentier n’est pas si important. « On n’essaie pas de recréer le parcours du Christ jusqu’au mont Golgotha, au centimètre près », illustre M. Goulet. Même Jackrabbit, qui a tracé plusieurs sentiers patrimoniaux, changeait leur tracé d’un hiver à l’autre, selon la quantité de neige et l’état du terrain.

La plupart des promoteurs approchés sont également ouverts, voire enthousiastes. « Ça devient attractif d’offrir des chalets, des maisons à proximité d’un réseau de ski », illustre M. Bergeron. Mme Lajeunesse rappelle que les gens s’installent dans les Laurentides d’abord pour la qualité de vie. « L’accès à la nature, ce n’est pas infini. Il faut le protéger », ajoute-t-elle.

Avancer et outiller

Quelques municipalités n’ont pas souhaité participer, ayant d’autres priorités. « Le temps, c’est un allié de ce projet », rassure toutefois M. Goulet. Comme ce projet s’accomplit à long terme, les fonctionnaires municipaux et les élus changeront. Les propriétaires aussi. Et les nouveaux seront peut-être plus ouverts.

« C’est pour ça qu’on ratisse large », indique Mme Lajeunesse. En attendant des acteurs plus réceptifs à un endroit, on pérennise des bouts de sentier et on développe des réseaux locaux ailleurs, quitte à les connecter plus tard.

D’où l’importance, aussi, de professionnaliser l’approche. À son apogée, dans les années 1940, le réseau des Laurentides comptait 1 600 km de sentiers de ski. Mais avec le temps, il s’est morcelé et certains segments ont disparu, faute d’un organisme fédérateur, qui chapeauterait toute la région, explique Mme Lajeunesse. C’est la même chose au niveau local. Certains clubs de plein sont très actifs, grâce au dévouement bénévole de ses membres. Et d’autres clubs accomplissent peu, faute de relève.

Pour pérenniser les sentiers, il faut donc en confier la charge à un organisme qui assurera son entretien et son opération. M. Bergeron donne l’exemple de la Chambre de commerce de Sainte-Adèle, qui gère le parc du Mont-Loup. On pourrait aussi penser au P’tit Train du Nord, qui a un conseil d’administration et un directeur. « Ça prend des gens dans les sentiers, aussi. »

Il faudra ensuite coordonner ces différents organismes : plusieurs sont existants, d’autres sont à créer. On veut aussi offrir de l’expertise, des compétences et du soutien financier aux municipalités qui en auront besoin, explique Mme Lajeunesse. « On peut les accompagner jusqu’à la pérennité. »

Pour M. Bergeron, travailler avec cette grande quantité d’organismes et d’institutions est en fait une force. Plusieurs acteurs mobilisés pour une même cause, qui parlent d’une même voix, ç’a plus d’impact, illustre-t-il.

Coordonner

Outre les négociations avec les propriétaires, on souhaite aussi utiliser d’autres outils pour pérenniser des tronçons de sentier. M. Goulet parle des contributions aux fins de parc, qui permettraient d’inclure des sentiers dans les nouveaux développements immobiliers, par exemple. Il y a également les différents types de dons, écologiques ou autres, faits aux villes.

Enfin, on souhaite créer un fonds d’acquisition. On pourrait ainsi acheter un terrain, y créer une servitude pour un sentier, puis revendre le terrain, illustre M. Bergeron. Il y a cependant quelques « pièges » administratifs, déplore M. Goulet. La réglementation actuelle obligerait l’organisme à faire une contribution aux fins de parc et à payer des taxes municipales. « C’est un non-sens, parce que l’idée, c’est justement de créer un parc. »

Il y a donc plusieurs ajustements à faire avec les municipalités. Et celles-ci pourraient aussi acquérir plus d’outils d’urbanisme pour faciliter la création et la connexion de sentiers. « D’où l’importance de les accompagner! », rappelle Mme Lajeunesse.

Patrimonialiser

Certaines balises patrimoniales sont là depuis si longtemps qu’elles sont englouties par les arbres.

Au fur et à mesure que des parties du réseau seront pérennisées, de plus en plus de gens vont se l’approprier, prévoit Mme Lajeunesse. Les usagers seront plus nombreux, les instances publiques verront les bénéfices, et le milieu privé y verra des opportunités d’affaires.

Après tout, le tourisme fait partie intégrante de l’économie et de l’histoire des Laurentides. À terme, M. Goulet souhaite que la valeur patrimoniale de ce réseau soit reconnue. « Quand tu patrimonialises quelque chose, quelqu’un ou un savoir-faire, tu le fais entrer dans l’identité collective. »

En se promenant d’un village à l’autre, sur plusieurs jours, les skieurs auront aussi une expérience bien différente des parcours qui existent déjà, comme ceux dans le parc national du Mont-Tremblant, par exemple. « Tu te promènes d’un refuge à l’autre, mais tu es en mode très rustique. Là, on s’intègre dans la communauté. On s’arrête dans les restos et les hôtels. Il y a un patrimoine humain qui est là », soutient M. Bergeron.

Et ces sentiers demandent très peu d’aménagement, ajoute Mme Lajeunesse. « Il y a très peu d’impact sur le milieu. Ce n’est qu’un accès à la nature. »

La prochaine étape est d’organiser un grand sommet, pour réunir tous les acteurs, échanger sur les aspects techniques, et faire les premières annonces publiques. Il devrait se tenir en février ou mars prochain, souhaitent les organisateurs.

Ils souhaitent y signer une charte des sentiers patrimoniaux. « Ce sera un engagement : les grandes lignes et les principes qu’adoptent les municipalités pour guider leurs décisions dans les prochaines années », explique M. Bergeron.

Cette charte guidera les prochains acteurs, liera les conseils municipaux dans le temps, pour assurer la pérennité de ces sentiers patrimoniaux.

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