Possible, une voiture 100 % canadienne ?
Par Simon Cordeau
Existe-t-il des voitures produites, du début à la fin, au Canada ? « Non, absolument pas », répond sans détour Mathieu Perron-Dufour, professeur au Département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Pour les pays industrialisés comme le Canada, ce genre de produit manufacturier est imbriqué dans des grandes chaînes de production internationales. »
Ainsi, les voitures produites au Canada, principalement en Ontario, ont très peu de contenu canadien. « Peut-être 20 %. Mais c’est très difficile de confirmer ces chiffres. Les entreprises ne tiennent pas à révéler toute leur filière », indique l’économiste de formation.
Avec les menaces tarifaires de Trump, serait-il possible de rendre l’industrie automobile moins dépendante des États-Unis ? Une chose est claire : ce serait long et difficile.
Une intégration sur des décennies
En 1965, le Canada et les États-Unis signent le Pacte de l’auto. « L’idée, c’était d’aller vers la réciprocité plutôt que de se faire la guerre, et d’intégrer les secteurs automobiles des deux pays », explique M. Perron-Dufour.
Depuis, et grâce à d’autres pactes commerciaux comme l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), l’industrie automobile s’est imbriquée de plus en plus de chaque côté de la frontière. « Même lorsqu’une compagnie japonaise vient en Amérique, elle s’installe des deux côtés. » Ainsi, les pièces et composantes d’un véhicule peuvent traverser plusieurs fois la frontière avant leur assemblage final. « Pendant des décennies, c’est la structure de toute l’industrie qui était orientée vers ça. »
Faire tout ici ?
Est-il possible, maintenant, de défaire ce maillage complexe ? « Oui et non. D’un point de vue technique, rien n’empêche le Canada de développer la production nécessaire pour faire une automobile d’un bout à l’autre, à part peut-être pour certains minéraux critiques », indique M. Dufour-Perron.
Mais d’un point de vue économique, la chose serait plus compliquée. Pour réaliser des économies d’échelle, « il y a des compagnies qui se spécialisent dans un petit bout de la chaîne de production. Et c’est comme ça pour tous les produits manufacturiers ».
Rapatrier toute la production ici ferait donc augmenter le coût des voitures, d’une part, mais demanderait aussi une planification industrielle « sur plusieurs mandats » des gouvernements fédéral et provinciaux, avec des investissements et des incitatifs, pour aller à contre-courant des marchés.
Le professeur donne l’exemple de la Chine, qui a maintenant de nouveaux constructeurs automobiles, en particulier pour les véhicules électriques. « Eux-mêmes, ça leur a pris quelques décennies », malgré un gouvernement centralisé et autocratique, le potentiel d’un grand marché intérieur (avec une population de plus d’un milliard d’habitants), et un grand accès aux minéraux rares, illustre-t-il.
Bref, pour diminuer notre dépendance face aux États-Unis, il serait plus simple et rapide de se tourner vers l’Europe et l’Asie pour combler nos chaînes de production, plutôt que de tout produire ici.
Le retour du primaire
Plus généralement, on observe un repli de l’économie canadienne vers une production « plus primaire et moins transformée » depuis plusieurs décennies, également due à la mondialisation. « On transforme un peu les matières premières, on les envoie ailleurs, puis on rachète le produit final », illustre M. Perron-Dufour.
C’est vrai aussi pour l’industrie automobile, ajoute-t-il. « La production demeure importante, mais elle baisse chaque année. Même avant Trump, il y avait des usines en Ontario qui étaient loin de fonctionner à pleine capacité. »