Photo : Monia Proulx

La démocratie fade

Par Philippe Leclerc

Il y a quelque chose de triste dans un bulletin de vote qui ne sert à rien. Un peu comme un repas sans invités : tout est prêt, la table est mise, mais personne ne vient manger.

Dans 568 municipalités du Québec, la fête démocratique s’est arrêtée avant même de commencer. Pas de duel, pas de débat, pas de choix. Juste des élus proclamés par acclamation — élus sans opposition, comme un match gagné par forfait.

Dans nos coins des Pays-d’en-Haut et de La Rivière-du-Nord, ça s’est passé à Estérel, Lac-des-Seize-Îles, Sainte-Anne-des-Lacs, Saint-Colomban et Sainte-Sophie. Cinq municipalités, cinq histoires différentes, mais un même silence dans les urnes.

Le calme qui endort

On dit souvent : « S’il n’y a pas d’opposition, c’est que le monde est content. » Mais parfois, c’est juste que le monde s’est découragé.

L’acclamation, ça flatte l’ego des élus, mais ça tue la relève. À force de voir les mêmes visages revenir, plusieurs finissent par se dire : « À quoi bon ? » Et pendant que les sièges se succèdent sans concurrence, les idées, elles, ne se renouvellent plus.

C’est pratique, une démocratie sans bruit. Pas de pancartes, pas de débats, pas de questions qui dérangent. Mais c’est aussi une démocratie qui s’endort. Sans rival, pas besoin de se justifier ni de faire le bilan. Pas besoin d’écouter ni de convaincre.

Et puis, à force de confondre la stabilité avec la santé démocratique, on finit par applaudir l’immobilisme. Une élection, c’est fait pour qu’on s’y frotte, pas pour qu’on s’y cache. Un élu qui n’a jamais eu à se battre pour convaincre finit souvent par oublier pourquoi il voulait convaincre.

L’élection comme miroir

Une élection, ce n’est pas juste pour élire. C’est pour se regarder collectivement dans le miroir. Ça nous force à parler, à se demander ce qu’on veut, ce qu’on ne veut plus, ce qu’on est devenus comme communauté. Quand il n’y a pas de course, ce miroir reste couvert de poussière.

Entre le 19 septembre et le 2 octobre, plusieurs élus sortants ont dit qu’ils étaient « présents sur le terrain ». Bien. Mais ce n’est pas la même chose que d’aller à la rencontre du citoyen pour lui dire : « Votez pour moi », et d’avoir à encaisser la réponse : « Pourquoi je le ferais ? ».

L’acclamation nous prive de cette conversation-là — celle où on se confronte, où on s’écoute, où on se découvre parfois en désaccord. Et c’est souvent dans le désaccord que naît le respect.

Le prix du silence

Certains vont dire : on économise du temps, de l’argent, de la chicane. C’est vrai. Une élection coûte cher, surtout dans les petites municipalités.

Mais à force de vouloir sauver des sous, on finit par perdre du sens. Quand plus d’un électeur sur deux ne va pas voter, quand la participation stagne à 38 %, quand cinq municipalités de nos deux territoires n’ont même pas eu besoin de sortir les urnes, il y a de quoi s’inquiéter.

À vaincre sans péril…

Dans certaines municipalités, on semble avoir tellement eu peur du conflit qu’on a préféré élire tout le monde d’avance. Résultat : pas de débat, pas de sueur, pas d’enjeu.

Bref, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, et on dort tranquille… jusqu’à la prochaine tempête. Les élus sans opposition regretteront, comme les citoyens, de ne pas avoir de légitimité démocratique : les uns par l’absence d’appui qui réconforte, les autres pour avoir fait un chèque en blanc.

Remettre du monde dans la salle

Heureusement, la démocratie locale, ça peut se vivre autrement que dans les urnes : dans un comité citoyen, un comité consultatif, une consultation publique, ou même une simple question posée au conseil.

Mais ça commence par un réflexe simple : se sentir concerné. Parce que si on continue à élire nos maires comme on retourne toujours au même restaurant « parce qu’on sait ce qu’on va avoir », il ne faut pas se surprendre que le menu n’ait jamais changé.

Souhaitons-nous des élections où ça débat, ça grince, ça frotte. Souhaitons-nous des citoyens un peu plus curieux, un peu plus bruyants.

Et pourtant, bravo quand même

À toutes celles et ceux qui se sont quand même présentés, parfois dans l’indifférence générale, bravo. Il faut du courage pour lever la main, pour dire : « Je veux m’en occuper. » C’est un geste d’amour envers sa communauté, même si le monde n’applaudit pas.

Mais rappelons-nous que la démocratie, ce n’est pas un spectacle à un seul acteur. Elle a besoin d’un public, d’une opposition, d’un peu de bruit.

Pour celles et ceux qui le peuvent encore, allez voter le 2 novembre prochain.

Parce qu’une démocratie sans contestation, c’est comme un feu qu’on étouffe sous trop de cendres : il reste chaud un moment, puis tout s’éteint. Et parce qu’un élu qu’on n’a jamais obligé à se battre pour ses idées, c’est un élu qu’on libère un peu trop vite de son devoir de rendre des comptes.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *