Des enfants qu’on ne prend plus par la main

Par Frédérique David

CHRONIQUE

Le vent a tourné sur le monde de l’éducation, soufflant un ciel sombre et menaçant au-dessus des plafonds déjà décrépis des écoles. On y avait accroché des cœurs, des étoiles filantes, des soleils étincelants de fin d’année. On ne voit désormais qu’un brouillard d’inquiétude accompagner les discussions de corridors. Une chape de plomb vient de tomber sur un écosystème déjà fragile.

Ce n’était pas la panacée, mais on avait espoir de meilleures conditions pour mieux accompagner les générations futures vers des réussites, des accomplissements, des fiertés et une confiance en soi nécessaire pour toucher leurs rêves. On sentait – était-ce un leurre ? – que l’éducation pouvait devenir une priorité, qu’on était sur le point de comprendre qu’il s’agit des fondements d’une société, du socle sur lequel on érige un avenir. On aspirait à un monde meilleur pour tous. Les défis étaient de taille et les aides insuffisantes, mais de petits pas avaient été franchis dans ce sable mouvant. Va-t-on désormais s’y enfoncer ?

Coupe à blanc

Sur le terrain, les acteurs sont inquiets. Ils savent que ce sont les services directs aux élèves qui risquent d’être coupés. Parce que les coupes annoncées sont draconiennes, même si le gouvernement parle « d’efforts budgétaires ». Parce que 570 millions de dollars équivalent à une coupe à blanc. Parce que ces coupes avoisineraient un milliard de dollars selon les centres de service. Le vent de panique a même gagné les directions d’écoles. Certaines de leurs associations ont récemment affirmé que cela va « mettre en péril » le système d’éducation. Des directions d’école ont même écrit aux parents pour dénoncer ces coupures et les inviter à écrire à leur député pour « manifester leur désaccord ».

Concrètement, nul ne sait ce qui écopera, mais on peut l’imaginer. On commencera sans doute par reprendre ce qui avait été offert récemment. Un pas en avant, deux pas en arrière. On pourra certainement oublier la subvention de 300 $ de livres par classe annoncée en grande pompe en avril 2023 par le ministre Drainville qui déclarait qu’il « faut faire de la lecture une priorité nationale ». Qu’en sera-t-il de cette priorité ? Le ministre de l’Éducation mentionnait, il y a deux ans, que les enseignantes achètent des livres « à même leurs fonds personnels, et ce n’est pas normal ». Ce qui n’est pas normal sera sans doute nécessaire pour que les élèves puissent vivre encore des cercles de lecteurs, des combats de livres, des dégustations littéraires, des lectures interactives et toutes ces belles activités qui leur permettent de développer leurs habiletés en lecture et leur plaisir de lire.

Les élèves vulnérables

Les autres coupes mettront certainement en péril la réussite des élèves qui ont des besoins particuliers. Difficile de croire qu’on ne sera pas obligé de sabrer dans le tutorat, les services d’orthopédagogie, l’orthophonie, la psychoéducation, le soutien dans les classes, les TES, et j’en passe. Difficile de croire que cela ira bien (sortez les arcs-en-ciel !) alors que les besoins augmentent sans cesse depuis plusieurs années.

Cela ressemble à quoi une classe ordinaire du primaire, au Québec ? C’est plus de 20 élèves à qui il faut enseigner un programme, donner le goût d’apprendre, développer des habiletés sociales, faire vivre des réussites, offrir un cadre sécurisant et accompagner individuellement en offrant des mesures de soutien pour plus du tiers d’entre eux. C’est un travail d’équipe. Cela ne peut être le mandat d’une seule personne !

Les coupures annoncées feront mal. C’est Pedro qui n’aura plus d’heure de francisation. Jade qui ne pourra être évaluée en orthophonie, même si ses parents n’ont pas les moyens d’aller au privé et que ses enseignantes successives ont émis l’hypothèse d’une difficulté d’accès lexical. C’est Rebecca à qui on ne pourra plus offrir de collation, même si elle arrive chaque matin le ventre vide. C’est Hammed qui n’aura plus le soutien de l’orthopédagogue en classe pendant les périodes d’écriture, malgré sa dyslexie. C’est Julie qui fera des crises plus nombreuses parce qu’on n’aura pas assez de TES pour lui offrir des pauses préventives. C’est Ziad, arrivé l’année dernière d’un camp de réfugié, qui n’aura plus l’aide d’une psychoéducatrice pour travailler sur ses traumatismes. C’est Caroline qui ne pourra être évaluée par la psychologue et qui continuera de montrer des signes d’anxiété au moindre changement et à la moindre difficulté.

Ce sont des milliers d’enfants aux besoins particuliers qu’on n’accompagnera plus comme il se doit. Des milliers d’enfants qui payeront le prix de gouvernements incompétents et de sommes colossales perdues dans des SAAQclic et des Northvolt. Des enfants qu’on ne prend plus par la main.

J’espère que nos ministres auront la décence de ne plus chercher à détourner l’attention publique des vrais enjeux en parlant de cellulaires à l’école, de campagne contre l’intimidation, de toilettes ou de ramener le « Roi de la montagne » à la récré. Un gouvernement qui se soucie réellement de l’éducation de ses enfants se doit d’écouter leurs besoins et d’y répondre.

La chanson de Serge Fiori est doublement et tristement d’actualité. « On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter ».

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