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Des clients se croient tout permis

Par Aurélie Moulun

La semaine dernière, le Journal de Montréal publiait un article sur des courtières immobilières victimes de comportements indécents ou même violents de la part de certains clients, notamment dans les régions de Montréal et de Québec. 

La situation est-elle la même ici ? Plus d’une dizaine de courtières ont accepté de témoigner de ce qu’elles ont vécu, mais cette fois, dans les Laurentides.  

Rencontres régulières avec des étrangers, visage désormais public et souvent accompagné d’un numéro de téléphone :les courtières immobilières se retrouvent plutôt exposées à une clientèle souvent déplacée d’après les témoignages recueillis par les journaux Le Nord et Accès. 

Une réalité choquante

Au bout du fil, Lyse* déclare d’emblée recevoir au moins une vingtaine d’appels indécents par semaine. « Les gens se permettent de dire n’importe quoi, ça n’a pas de bon sens ! » Des messages comme « viens me sucer », ou encore « combien tu charges pour une heure ? », elle en reçoit régulièrement. 

« Il y en a un qui m’a appelé en chuchotant et qui me demandait de faire des petits bruits. Ça m’écœure tellement. » 

En plus de recevoir des appels ou des messages indécents, Lyse* reçoit également des menaces. « Depuis la COVID, j’en reçois d’hommes et de femmes aussi. Il y a une femme qui m’a menacée d’écrire des choses sur Facebook pour saboter mon image et de parler à mes patrons si je n’enlevais pas mon visage sur mes pancartes. Ça a l’air que ma face est dérangeante », dit-elle découragée. 

Mais Lyse fait partie de celles qui n’ont pas la langue dans la poche. « Aujourd’hui, ces gens-là, je les rappelle et je les confronte. Je ne me gêne plus. »

Des appels obscènes

De son côté, Sophie Archambault vit pratiquement la même situation. « Moi ça m’arrive surtout par téléphone et sur Whatsapp. Des appels FaceTime où le gars est juste complètement nu ou en train de se branler, ça arrive vraiment, vraiment souvent. C’est tellement dégueulasse ! », lance-t-elle. 

Elle souligne aussi se faire avoir par des faux intéressés. « Souvent, ils font comme s’ils étaient intéressés par une propriété, et un moment donné ça tourne au vinaigre. Il commence à me demander si je suis mariée, si je voudrais aller prendre un verre, etc. C’est juste des caves qui s’essayent », déclare-t-elle découragée. 

« C’est sûr que j’ai des craintes. C’est stressant parce qu’on ne sait jamais vraiment qui on rencontre. Et quand on reçoit des appels de gens qui font semblant d’être intéressés par une propriété, c’est encore plus stressant d’aller faire des visites après », ajoute-elle. 

« Ça fait peur des fois. Ce sont toujours des numéros différents. Il y en a même qui vont écrire mon nom par texto : ‘’ Sophie Archambault call me’’ », lance-t-elle. 

La majorité des femmes avec lesquelles le Journal a discuté témoignent avoir reçu des appels à caractère sexuel de la part d’inconnus. 

La relève sur ses gardes

Le Journal a également discuté avec Valérie Allaire qui raconte avoir entendu ce genre d’histoire, mais surtout, qui s’est fait mettre en garde par rapport à celles-ci. 

« Moi on m’a toujours dit de faire très attention. » Ayant entendu plusieurs histoires de ses collègues, la jeune femme prend désormais ses précautions, même s’il ne lui soit rien arrivé de marquant, d’après elle. « J’ai des craintes parfois, ça m’arrive de penser que ça pourrait m’arriver quand je vais dans des villes éloignées, dans la forêt par exemple », souligne Mme Allaire. 

Cette crainte, elle la vit quotidiennement dans le cadre de son travail. Un jour, un homme l’avait contactée pour visiter une maison. « Il voulait que je vienne le chercher ailleurs et qu’on aille ensemble à la maison qu’il voulait visiter. Je ne voulais pas me retrouver coincée dans une voiture, seule, avec un homme que je ne connaissais pas. Alors, j’ai dit non, et il ne m’a jamais rappelée. J’ai perdu un client. » Toutefois, il s’agit d’une décision qu’elle ne regrette pas du tout. Pour elle, sa sécurité passe en premier.

Partager sa localisation, donner ses coordonnées à un proche, transporter du poivre de cayenne ou se faire accompagner de son conjoint, chaque courtière possède sa propre manière de se protéger lors des visites.  

Développer des mécanismes

De son côté, Myriam* raconte que la crainte de ce type de client est bien présente. 

« J’ai toujours comme réflexe, quand je fais visiter une propriété, de me garder une porte de sortie. Si je ne me sens pas en confiance, je vais demander à la personne de faire un tour de la maison seule et de venir me rejoindre dehors après. Sinon, quand j’entre dans une maison avec une personne, je m’arrange pour rester à proximité de la porte d’entrée. Je ne rentre pas dans les chambres ou dans les petites pièces avec elle », déclare-t-elle. 

Recours judiciaire

De toutes les femmes ayant discuté avec le Journal, une seule a déjà déposé une plainte à la police. Pourtant, l’agent Majeau du Service de police de la Ville de Saint-Jérôme explique que les personnes qui reçoivent des messages indécents sur les réseaux sociaux ou sur leur téléphone, ou encore qui reçoivent des coups de téléphone de nature indécente peuvent déposer une plainte à la police. Qu’une personne appelle quinze fois ou que quinze personnes appellent une fois, ce type de comportement constitue du harcèlement. 

« Il y a des articles de loi dans le Code criminel qui nous permet d’agir dans ces situations-là. C’est très important pour nous que les femmes n’aient pas à tolérer
ce genre de comportement, il s’agit d’un problème »
, explique l’agent. 

Notamment, l’article 372 du Code criminel indique qu’une personne commet une infraction si « avec l’intention d’alarmer ou d’ennuyer quelqu’un, lui fait ou fait à toute autre personne une communication indécente par un moyen de télécommunication ». 

Les communications harcelantes constituent également une infraction au Code criminel. « Commet une infraction quiconque, sans excuse légitime et avec l’intention de harceler quelqu’un, communique avec lui de façon répétée ou fait en sorte que des communications répétées lui soient faites, par un moyen de télécommunication. »

« Si quelqu’un courtise une autre personne par message, que cette autre personne a dit non et qu’il courtise toujours, cela constitue du harcèlement », ajoute d’ailleurs l’agent Majeau. 

Déposer une plainte n’est pas anodin

L’agent Majeau tient à souligner l’importance de déposer une plainte, même si l’incident vécu peut sembler anodin. « On accumule les plaintes. Ainsi, ça nous permet de nous rendre compte de la quantité d’événements du même genre. » Il explique que si le service de police se rend compte, par exemple, que 15 plaintes ont été faites au même sujet au cours d’un même mois, cela permet de « sonner des cloches » et de pouvoir, éventuellement, déclencher une enquête. 

« La meilleure chose à faire c’est d’en parler à la police. On est là pour elles. Et ce n’est pas vrai que ce type de comportement devrait être toléré, peu importe votre fonc-tion ou votre carrière », déclare l’agent Majeau.

* Certaines courtières ont préféré garder l’anonymat. Les noms accompagnés d’un astérisque sont des noms fictifs.

L’article 372 du Code criminel condamne les communications indécentes et harcelantes. 

« Quiconque commet une infraction prévue au présent article est coupable :

a)
soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

b)
soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. »

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