Société : une conférence pour tenir tête aux géants du web
Par Joëlle Currat
Alain Saulnier, conférencier, auteur et ancien directeur de l’information à Radio-Canada, donnera une conférence dans notre région sur la domination des géants américains du web et ses conséquences sur notre culture, notre économie et notre démocratie.
Alain Saulnier est ce qu’on peut appeler une pointure dans le domaine des médias. Journaliste de métier, il a été directeur général de l’information de Radio-Canada de 2006 à 2012. Sa contribution principale lors de son mandat fut de miser sur le journalisme d’enquête. Il est aussi à l’origine du premier Guide de déontologie de la profession journalistique au Québec et a enseigné le journalisme à l’Université de Montréal. Il est également l’auteur de plusieurs essais, dont Les Barbares numériques (2022) et Tenir tête aux géants du web (2024). Un enjeu majeur au cœur de ses préoccupations puisqu’il écrit actuellement un troisième livre qui portera également sur l’importance de s’affranchir de la domination des géants américains du web.
Alain Saulnier donnera une conférence sur ce sujet à la ferme Kerr, dans le Canton de Gore, le 10 septembre. On lui a posé quelques questions sur ce thème qui nous concerne toutes et tous.
J.C. : Notre évolution récente a été marquée par l’avènement d’internet et des technologies de l’information. Quelles ont été les principales conséquences – positives et négatives – de cette révolution, selon vous ?
A.S : Avec internet, l’intention de relier les humains entre eux et de donner accès à l’information au plus grand nombre était louable. Toutefois, en parallèle sont apparues des plateformes qui contrôlent aujourd’hui tout ce qui se passe en ligne. Ce sont ceux que j’appelle les géants du web : des entreprises américaines milliardaires connues sous l’acronyme GAFAM, ou plus précisément GAMAM, puisque Facebook est identifié aujourd’hui sous le nom de Meta. Il faut aussi y ajouter Elon Musk qui, avec son réseau X, est devenu un joueur important. Moins connues, les entreprises Nvidia, une multinationale dans le domaine de la technologie qui produit des processeurs graphiques et des micropuces, et Oracle – Open AI dans le domaine de l’intelligence artificielle font aussi partie du club restreint.
Vous donnez prochainement une conférence intitulée Tenir tête aux géants du web. Quelle en est la teneur ?
Je reprends les grandes lignes de mon livre paru sous ce même titre à l’automne 2024 avec des mises à jour, puisque ce domaine évolue très rapidement, surtout depuis l’accès facilité à l’intelligence artificielle.
Vous parlez de dépendance envers ces outils informatiques. Est-elle comparable à celle que l’on peut éprouver vis-à-vis d’une drogue ?
Il y a bien sûr la dépendance de l’individu qui ne peut s’empêcher de passer plusieurs heures par jour à consulter ses messages et ses réseaux sociaux. Toutefois, la dépendance la plus préoccupante à mon avis est celle des États. Les gouvernements sont devenus dépendants numériquement des géants du web américains. Je constate qu’aujourd’hui le Canada a perdu sa souveraineté sur le plan des données numériques. Cette dépendance est beaucoup plus grave à mon point de vue parce qu’elle s’exerce aussi bien sur le plan économique avec Amazon, par exemple, qui tue les petits commerces, que culturel avec Netflix, qui nuit aux chaînes de télévision traditionnelles. Même sur le plan militaire, notre souveraineté numérique est aussi menacée, puisque toutes les données sont stockées sur des clouds américains.
Est-ce qu’on n’aurait pas pu éviter cela à un moment donné dans le processus ?
Le Canada a loupé un rendez-vous important. En 1999, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a décidé qu’il ne voulait pas établir de juridiction dans le domaine du numérique, consacrant ses activités uniquement dans le domaine des télévisions et radios traditionnelles. De ce fait, le Canada n’a exercé aucun contrôle dans la sphère numérique depuis ce temps-là.
Comme en ce qui concerne les changements climatiques, on peut se sentir impuissant·e face à un problème d’une telle envergure. Comment pouvons-nous agir en tant que citoyen·ne ? Avez-vous des pistes de solutions à nous proposer ?
En tout premier lieu, il faut prendre conscience de cette réalité. Quand je donne des conférences sur ce sujet, il y a toujours une personne dans l’auditoire qui demande : Qu’est-ce qu’on peut faire ? Je lui réponds que nous faisons partie désormais d’un mouvement collectif conscient de la gravité de la situation. En sortant de la salle, après avoir lu un article ou un de mes livres, il s’agit de diffuser le message autour de nous, puis de trouver des moyens de faire pression auprès des gouvernements.
Le Canada ne devrait-il pas se munir de ses propres plateformes afin de stocker ses informations ?
Dans un de mes livres, je suggère d’établir un plan sur 10 ans avec une stratégie et des étapes afin que, progressivement, nous puissions nous affranchir de ces géants du web. Cela signifie donc de créer nous-mêmes nos propres outils plutôt que de faire appel à des plateformes américaines pour stocker nos données. Il existe déjà de telles entreprises dans notre pays. À l’avenir, il serait vraiment préférable d’avoir notre propre cloud !
À mettre à l’agenda
Quoi : conférence Tenir tête aux géant du web
Qui : Alain Saulnier
Quand : mercredi 10 septembre à 20 h 00
Où : la ferme Kerr, 7 chemin Kerr dans le Canton de Gore