Le sandwich au ketchup
Par Philippe Leclerc
CHRONIQUE
Non, ce n’est pas cette semaine que je vous reviens avec une chronique politique. Ça viendra. J’ai pris l’été pour me faire une liste de sujets bien juteux, et avec l’actualité, je vous promets que ça ne manquera pas de sel. Alors, parlons de la rentrée scolaire.
Parce que voilà : des milliers d’enfants s’apprêtent à ranger leurs sandales de plage pour chausser leurs espadrilles neuves. Dans leurs yeux, il y a de la hâte, même si ça se mélange avec un peu de trac. Chez moi, j’ai trois versions de ce mélange. L’aîné, motivé par l’éventuel grand saut vers le secondaire. Le deuxième, impatient de retrouver ses compétitions scolaires. Et la dernière, qui quitte la garderie pour la maternelle, un univers tout neuf qu’elle regarde comme une forêt pleine de loups comme de licornes.
Vous qui me lisez, vous êtes sûrement, directement ou pas, plongés dans cette grande période de rentrée. Directement si vous êtes parent — et que vous redécouvrez, avec un mélange de joie et de soulagement, ce système scolaire qui occupe vos enfants de 8 h à 15 h. Indirectement si vous êtes grand-parent, tante ou oncle, enrôlés pour dépanner. Parce que huit semaines d’été, avouons-le, ça ne rentre pas bien dans les horaires de vacances de tout le monde… sauf peut-être ceux des professeurs de cégep (que je salue bien bas).
Et puis, il y a le retour du lunch quotidien. Ah, le lunch. L’éternel sandwich et crudités qui vous nargue dès le premier mardi de septembre. Parents de maternelle, je vous entends : au début, vous trouvez ça attendrissant de préparer de jolies petites boîtes à lunch pleines de formes et de couleurs. Mais ça, c’est avant le mois d’octobre. Après, vous comprendrez la vraie signification du mot routine. Et votre enfant, qui recevait autrefois un repas complet à la garderie, découvrira parfois que la « gastronomie scolaire » se limite majoritairement à un sandwich et s’il est chanceux, ce ne sera pas un sandwich au ketchup qu’il mangera.
On pourrait en rire si ce n’était pas si triste, de ce type de sandwich. Dans un Québec aussi riche, est-il normal que certains enfants arrivent le ventre vide à l’école ? Qu’on doive encore répéter en 2025 les mêmes discours sur les déjeuners ou les dîners manquants ? Chez nous, dans les Laurentides qu’on aime afficher comme carte postale bucolique, une personne sur six vit sous le seuil de la pauvreté. Derrière les belles maisons en bois rond, il y a aussi des frigos vides. Est-ce qu’on pourrait, une fois pour toutes, offrir au moins un repas du midi gratuit chaque jour aux élèves du primaire ? Des modèles de dîner quotidien gratuit ou très abordable existent ailleurs au Québec (allez voir « La Cantine pour tous dans les écoles »), mais ici, ça traîne. Le Club des petits déjeuners existe aussi, heureusement, mais sa dépendance au bénévolat, en baisse généralisée malheureusement, touche de plein fouet des écoles qui perdent carrément à cause de cela le programme.
En attendant, petit conseil aux parents : avec l’insécurité alimentaire qui frappe plusieurs foyers, il est primordial que nos enfants sachent cuisiner et ça commence par le repas symbole de leur enfance et de leur adolescence. Guidez donc vos enfants vers l’autonomie et impliquez-les dans la confection de leur lunch. Commencez par leur faire mettre leur jus et leurs collations, continuez avec les crudités, et un beau matin, miracle, ils se feront leur sandwich. Victoire ! Chez moi, on en est là. Et je croise les doigts pour que ça dure.
Autre conseil pour les parents : plusieurs se sont mobilisés pour forcer le gouvernement à réinjecter 500 millions dans les services aux élèves. J’espère que ces mêmes parents auront le courage de s’impliquer dans les conseils d’établissement de l’école de leurs enfants. Depuis que les commissions scolaires ont été malheureusement abolies, un constat se dégage : ce n’est ni sur nos élus municipaux ni sur ceux de Québec qu’on peut compter pour la faire vivre, cette démocratie scolaire.
Comme parent impliqué, je ne vous cacherai pas que c’est décourageant, parfois. Entre des abréviations incompréhensibles, des politiques pleines de jargon et des absurdités administratives, on a de quoi perdre patience.
Mais la rentrée, malgré tout, c’est ça : un mélange de chaos et d’espérance. Des crayons taillés, des sacs trop lourds, parfois des boîtes à lunch un peu tristounettes, mais aussi des enfants qui grandissent, des parents qui vont s’impliquer et qui réaliseront peut-être les hauts et les bas du système et, heureusement, des communautés qui s’accrochent.
« Gérez-vous, sinon vous allez vous faire gérer », ai-je dit à mes enfants en les mettant devant leurs lunchs. Je pourrais dire la même chose à tous les parents, à tous les citoyens. Parce qu’à la fin, la démocratie, c’est un peu comme une boîte à lunch : si on ne s’en occupe pas soi-même, on risque de se retrouver avec un sandwich au ketchup, et rien d’autre.