(Photo : Nordy par Davy Lopez)
Le manque d'expérience de certains chauffeurs constitue un danger sur nos routes.

Camionneurs à rabais : « nos entreprises canadiennes s’en lavent les mains » – un camionneur jérômien

Par Luc Robert

Le Bloc québécois et des représentants de l’industrie du camionnage, dont l’Association du camionnage du Québec (ACQ), la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec (FCCRQ) et le mouvement populaire « Assez, c’est assez », ont présenté une liste de 10 demandes au gouvernement fédéral visant à rétablir la sécurité sur les routes et à mettre fin au phénomène des chauffeurs à rabais.

Les intéressés se sont unis pour faire pression sur le gouvernement fédéral, dont ils ont exhorté le ministre des Transports, Steven Mackinnon, « à prendre ses responsabilités. »

« Je viens d’arriver à un point de chargement d’un expéditeur. Il y a encore une majorité de chauffeurs plaqués de l’Ontario et aux origines diverses. Ils prennent même les routes difficiles du nord, comme la 389 vers Fermont et le Labrador. On se faisait traiter de racistes parce qu’on les appelait les tapis volants, cet été, mais là avec des conditions hivernales, ça va devenir des crazy carpets dans le clos. Plusieurs n’ont aucune retenue et conduisent à tombeau ouvert à des vitesses supérieures à la limite », s’est plaint un chauffeur jérômien, qui nous avait dévoilé les moyens de pression du milieu, en septembre dernier.

Laissez-aller des autorités ?

Depuis plusieurs mois, de nombreux citoyens et organisations dénoncent les pratiques dangereuses et frauduleuses dans l’industrie du camionnage, désignées sous le terme de « chauffeurs à rabais ». Cette pratique abusive, très répandue en Ontario, consiste à contraindre des conducteurs, souvent peu qualifiés et insuffisamment formés, à conduire des véhicules en piteux état et à se présenter comme des indépendants incorporés, ce qui leur permet d’offrir des prix défiant toute concurrence, évinçant du marché les entreprises qui se conforment aux lois.

« La sécurité de nos routes ne peut être sacrifiée sur le dos de travailleurs exploités par des individus sans scrupules qui défient les lois. Conduire un poids lourd qui transporte des tonnes de matériel, ça ne s’improvise pas. Quand un tel véhicule dérape, les conséquences peuvent être graves. Le laissez-faire ne peut plus continuer : nous réclamons l’interdiction sur-le-champ, pour les immigrants temporaires, d’exercer en tant que chauffeur incorporé, en limitant leur exercice du métier au statut de salariés, de façon à leur assurer un encadrement adéquat et une imputabilité de l’employeur », a signalé la députée de Laurentides-Labelle, Marie-Hélène Gaudreau.

Des restrictions similaires existent déjà dans d’autres secteurs stratégiques des transports, comme le pilotage maritime et l’aviation au pays.

« Le problème est dorénavant plus profond que ça : nos propres industries canadiennes font appel à des brokers (courtiers), qui engagent des sous-contractants incorporés, souvent des nouveaux arrivants sans formation. Nos entreprises canadiennes s’en lavent les mains en disant qu’ils n’engagent pas de conducteurs illégaux. Mais c’est de la poudre aux yeux, car les courtiers le font à leur place. C’est du grand n’importe quoi. Et quand on fait valoir que ces illégaux chargent 40 % moins cher pour un trajet de transport, nos patrons menacent de couper nos salaires et nos avantages sociaux. Les illégaux, c’est certains qu’ils n’ont aucune charge sociale en chargeant des frais dérisoires », a poursuivi notre intervenant.

Imputabilité

Les intervenants veulent que le milieu se responsabilise dès maintenant pour sauver des emplois et sécuriser les routes.

« Nous demandons la mise en place d’un audit conjoint automatique d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) et de l’Agence du revenu du Canada (ARC) pour toute nouvelle entreprise de camionnage sans employé ni camion, dans les 18 mois suivant leur création. Dans le même esprit, nous croyons que les donneurs d’ouvrage devraient être tenus responsables des d’impôts impayés et de cotisations sociales des transporteurs délinquants », a ajouté la députée Gaudreau.

Les hausses fulgurantes des décès sur les routes devraient aussi être considérées, a-t-elle estimé.

« Ça fait trois années de suite que les décès impliquant des véhicules commerciaux augmentent au Canada. Entre 2023 et 2024 au Québec, on parle d’une hausse de 35 % des décès impliquant un poids lourd: un record de plus de 15 ans, c’est dramatique! Les accidents graves ne cessent de faire les manchettes et l’hiver qui approche nous fait craindre le pire. Nous enjoignons Ottawa à mettre de l’avant rapidement nos dix recommandations pour mettre fin à cette fraude qui tue l’industrie du camionnage. Le ministre des Transports doit se réveiller avant qu’il n’y ait davantage de victimes sur nos routes! Il en va de notre sécurité à tous », a repris Mme Gaudreau.

Une situation confirmée par notre vétéran chauffeur d’une compagnie importante de fret.

« Depuis un an et demi, il y a des pertes de vie massives : les chiffres de 2025 seront encore plus effrayants, une fois l’année complétée. En Ontario, ils ont souvent à peine une centaine d’heures de formation. Ici, au moins, il y a ensuite des formations continues. On revendique des enquêtes et de l’aide aux contrôleurs routiers du Québec. Ça urge », a-t-il terminé.

Tabeau des 10 demandes des intervenants

1. Ouvrir une enquête officielle sur l’exploitation des chauffeurs dans le secteur du camionnage au Canada, en vertu de l’article 3.1 de la Loi sur le transport routier.

2. Éliminer le droit pour les immigrants temporaires de travailler comme chauffeurs incorporés dans ce secteur, en les limitant au statut de salariés uniquement, et lancer une campagne de sensibilisation sur le droit des travailleurs.

3. Mettre en place un audit conjoint automatique de l’Emploi et Développement social Canada (EDSC) et de l’Agence du revenu du Canada (ARC) concernant les entreprises de camionnage sans employés ni camions, dans les 18 mois suivant leur création. Les entreprises fautives seront signalées aux autorités provinciales compétentes (Revenu Québec, SAAQ, contrôleurs routiers, Transport Québec).

4. Tenir les donneurs d’ouvrage responsables des impayés d’impôts et de cotisations aux régimes d’assurance sociale par les transporteurs.

5. Mettre en place une base de données partagée regroupant les infractions, cotes de sécurité et amendes impayées dans le secteur du camionnage, accessible aux contrôleurs routiers et aux forces de l’ordre.

6. Créer un registre pancanadien des assurances en vigueur, consultable par les contrôleurs routiers, policiers et remorqueurs.

7. Établir un registre public des entreprises fautives dans le domaine du camionnage:

8. Créer un programme de certification des employeurs pour avoir droit d’utiliser les TET dans le secteur du camionnage;

9. Modifier le Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicules utilitaires pour autoriser les contrôleurs routiers à mettre hors service un véhicule lorsque le permis de conduire présenté ne correspond pas avec le dispositif de consignation électronique (DCE);

10. Rendre obligatoire l’émission d’un T4A pour les entreprises sans employé évoluant dans le secteur du camionnage.

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