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Moratoire de la résilience

Par Jean-claude-tremblay

Résilience : surmédiatisé et utilisé à outrance comme le condiment chéri de la psychologique populaire, ce ketchup des noms devenu épithète, est employé comme analgésique pour engourdir la douleur de notre conscience individuelle et collective, spécifiquement depuis la crise. Rares sont les jours où l’on n’entend pas une phrase du genre : « les enfants sont tellement résilients ! », sous-entendant que ça va bien, ou que… « ça va bien aller » – je vous laisse en juger.

Le concept de résilience en psychologie réfère essentiellement à deux notions : s’adapter (résister) et surmonter (rebondir), en lien avec des épreuves liées au stress ou à un traumatisme. Marteler ce mot, alors que nous vivons toujours des moments de fragilité sans précédent, est non seulement inexact, mais dangereux, spécialement pour nos enfants, chez qui on sous-estime la détresse.

Nous avons peut-être réussi à garder notre véhicule sur la route jusqu’ici, mais nous sommes encore immobilisés à l’intersection, à se demander quelle branche emprunter pour atteindre cette fameuse ville nommée « guérison ». D’ici à ce que nous soyons en mouvement, bien engagés dans cette voie, j’utiliserais le terme résilience avec tempérance.

Réconfortante simplicité

J’ai soif de paix, et de simplicité. Je m’ennuie des jus en sac du Perette, des Goonies, d’Épopée Rock, des Walkmans jaunes, des BMX, du Sears, des escapades le midi à la Pizzeria l’Escale, quand la frite sauce était plus populaire que la poutine. Il me semble que c’était hier…. Que ma mère me demandait de rentrer à la maison (au lieu de me forcer à sortir dehors), qu’elle me demandait d’arrêter de jouer avec la salière-poivrière à la table (au lieu de me forcer à mettre la tablette de côté).

Je me souviens encore d’un temps… où lorsque j’entendais les mots « dictature » et « masques » dans la même phrase, ça faisait allusion à la tragique extermination d’une race, et à la prévention de l’écoulement lacrymal, résultat de la violente toxicité des gaz. Il me semble qu’entre nos références historiques collectives et cette soif de liberté individuelle singulièrement exprimée, nous nous sommes drôlement égarés.

J’ai parfois l’impression que certaines personnes veulent actualiser l’ouvrage de Montesquieu, en faisant allusion à une forme de despotisme contemporain pour expliquer ce qui se passe, et ainsi faire de faux rapprochement avec des régimes tyranniques. C’est lourd comme chanson, spécialement quand les réseaux sociaux et certains médias s’amusent à (continuellement) monter le son. Trouver un coupable et coïncidemment, la source perçue de nos malheurs est un mécanisme de défense qui rassure, mais cette façon de décharger la tension accumulée n’est pas sans danger.

Dissonante vérité

J’ai le sentiment qu’il y a davantage de dissonance cognitive dans le discours actuel. Nous semblons prêts à (presque) tout pour justifier nos comportements, et donner un sens à ce qui se passe, en cette période qui vient bousculer nos valeurs, et ébranler nos besoins les plus fondamentaux. Nous cherchons mordicus à soulager nos tensions internes, et maintenir une certaine cohérence personnelle entre ce que l’on voit, ce que l’on fait, et ce que l’on croit. La dissonance apparaît lorsque l’image de soi est menacée, et ces temps-ci, notre cerveau est très occupé à réorganiser la vérité… pour que l’on trouve uniquement ce que l’on veut bien trouver, dans le but de ne pas souffrir, et de se préserver.

Ça fait partie de la nature humaine, mais il importe d’en prendre conscience, car la lucidité sera le point de départ de notre convalescence tant souhaitée. La joute qui consiste à rendre le bonheur conditionnel, ou à le remettre à plus tard selon des conditions promises, contribue à l’actuel mal de vivre. La vie c’est ici, maintenant, n’attendons pas les conditions parfaites ou la permission d’autrui pour remettre l’amour de soi à l’agenda.

Soyons conscients qu’être (encore) debout et vaquer à ses occupations n’est pas le baromètre de la résilience, car plusieurs ne font que souffrir en silence – cultivons d’abord l’empathie, la tolérance, et la patience.

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