(Photo : Rachel Lapierre)

Saint-Jérôme : le démantèlement du campement annulé

Par Alexane Taillon-Thiffeault

À Saint-Jérôme, les tentes plantées à l’abri des regards sur un terrain privé de la rue Laviolette ne seront finalement pas démantelées comme prévu.

Le promoteur, Espaces Lokalia, a annoncé qu’il renonçait à procéder à l’opération, affirmant vouloir privilégier « une approche plus humaine » et poursuivre les discussions avec la Ville pour « se conformer à la réglementation tout en usant de flexibilité et d’humanisme ».

L’annonce met temporairement sur pause une opération qui devait forcer une quinzaine de personnes en situation d’itinérance à quitter les lieux. Mais sur le terrain, le répit ne règle rien. Pour celles et ceux qui accompagnent les personnes vulnérables, la situation reste « un casse-tête humain », témoigne Rachel Lapierre, présidente du Book humanitaire, qui visite quotidiennement le campement. « J’y vais tous les jours, des fois deux fois par jour », dit-elle.

Au départ, l’annonce du démantèlement a frappé de plein fouet les occupants. « C’est sûr que les gens étaient surpris. Ils s’étaient quand même bien organisés », raconte Mme Lapierre. Plusieurs ont déjà quitté le campement avec l’arrivée du froid, mais quelques personnes cherchaient encore où se réfugier. « On n’est pas pour les campements. On sait que c’est dangereux. Sauf qu’il n’y a pas d’option numéro deux », insiste-t-elle. Elle témoigne de situations extrêmes, devenues « la norme » pour survivre : des personnes s’abritent dans des voitures ou se réchauffent où elles peuvent. « On est rendu là », résume-t-elle.

Le point de vue de la Ville : « la cohabitation est un enjeu »

Pour le nouveau maire de Saint-Jérôme, Rémi Barbeau, l’intervention municipale ne s’est pas faite en vase clos. Il rappelle que le campement a suscité de nombreuses plaintes des résidents du secteur. « On représente tout le monde : la population autour, et les personnes en situation d’itinérance, pour qui on travaille aussi », affirme-t-il.

Il insiste sur le fait que les équipes municipales, donc la police, les travailleurs de rue et l’équipe spécialisée, sont présentes depuis des mois auprès des campeurs. « À chaque fois que quelqu’un disait : “Oui, je te suis”, on avait une place pour accueillir la personne. On connaît les ressources en temps réel. » Selon lui, plusieurs occupants du campement auraient déjà intégré des ressources, se seraient déplacés vers d’autres organismes ou seraient retournés chez des proches.

Le maire souligne également que la Ville n’est pas l’autorité responsable de l’itinérance, une compétence relevant du CISSS. « On suit les recommandations des experts. Et les experts nous disent : on doit accompagner les gens à sortir de la rue le plus tôt possible. Encourager un campement, ça génère des enjeux additionnels. »

Il évoque à la fois des enjeux de sécurité pour les occupants, mais aussi pour le milieu : exploitation, vente de substances, criminalité opportuniste. « Le campement n’est pas une solution pérenne. On ne veut pas normaliser que les gens dorment dehors à l’année. »

Des ressources saturées selon les organismes

Sur le terrain, la lecture est différente. Mme Lapierre rappelle que les ressources actuelles ne répondent pas à la demande. La Hutte, le refuge local, ouvre ses portes en fin de journée, mais refuse des gens faute de place. « Hier, c’était complet. Il y avait des taxis devant pour attendre », affirme-t-elle. Le modèle – ouverture le soir seulement et départ obligatoire à 7 h – laisse plusieurs personnes dehors durant la journée.

Elle réclame la création d’une urgence psychosociale, ouverte 24 h sur 24. « Les gens très démunis n’ont pas de cellulaire. Faire 811, 911… ça ne fonctionne pas. Ça prend un endroit où il y a toujours quelqu’un, surtout la nuit. »

Dans les derniers jours, elle et la police ont tenté de placer des personnes dans des hébergements saturés, sans succès. Certains cas frôlent l’impossible : un homme en crise médicale à la rue, un demandeur d’asile épuisé renvoyé à Montréal. Les intervenants, même motivés, se heurtent à la même barrière : aucune place disponible. Elle tient toutefois à saluer le travail des policiers et de la nouvelle équipe spécialisée. « Chapeau à la police. Ils veulent vraiment aider, ils travaillent fort. »

Un dialogue à construire

L’annonce du promoteur laisse entrevoir une fenêtre de discussion. Mme Lapierre dit avoir parlé au nouveau maire et garde espoir qu’il contribuera à des solutions structurelles. « Je pense que c’est un homme de bonne foi. Il veut aider, il veut changer les choses. »

Rémi Barbeau promet pour sa part de bâtir un plan d’action. Il annonce la création, dès cette semaine, d’une commission spéciale sur l’itinérance. Son objectif : faire de Saint-Jérôme « le partenaire de choix » pour les organismes, améliorer la capacité d’accueil et agir davantage en prévention, notamment sur le logement abordable. « On pense à toutes ces personnes qui vivent en ce moment dans des logements et qui pourraient se retrouver dans la rue. On doit créer du logement accessible rapidement. »

Pour l’instant, seule certitude : le campement restera debout un peu plus longtemps, même s’il y a moins de personnes sur place à l’heure actuelle. Mais sur le fond, les enjeux demeurent – entre règlement municipal, réalité humaine et manque de ressources. « Le but, ce n’est pas de mettre la faute sur quelqu’un, résume Rachel Lapierre. C’est de trouver des solutions. Je pense qu’on est capable de faire mieux. »

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