Les Laurentides, une région qui compte… sans toujours être comptée

Par Philippe Leclerc

CHRONIQUE

Lorsque les classes ferment pour l’été, que les écoles se vident et que les routes se remplissent, les Laurentides changent de visage. Des dizaines de milliers de visiteurs montent chaque année vers notre région, attirés par ses lacs, ses montagnes, ses chalets, ses campings, ses festivals. Pendant quelques semaines, notre population explose, et les Laurentides se retrouvent, parfois sans qu’on s’en rende compte, parmi les trois régions les plus peuplées du Québec.

Même en dehors de ces pics saisonniers, notre population permanente ne cesse de croître. Familles jeunes, retraité·es, nouveaux arrivants — ils et elles choisissent nos villages et nos villes pour la qualité de vie, la nature toute proche, et ce sentiment qu’ici, on respire autrement. Dans La Rivière-du-Nord comme dans les Pays-d’en-Haut, cette croissance est visible dans les cours d’école, les rues devenues trop étroites, les commerces plus animés qu’avant. Elle est aussi ressentie dans les salles d’attente, les files à la pharmacie, les embouteillages du samedi matin.

Nous ne sommes plus simplement une région de passage. Nous sommes un territoire d’ancrage. Et pourtant, l’image qu’on projette encore de nous dans le reste du Québec reste figée : une région de chalets, un « terrain de jeu » pour Montréal, une belle carte postale qu’on envoie l’automne venu.

Or ce regard d’hier empêche quelque chose de fondamental : reconnaître pleinement notre poids réel — démographique, économique, politique, culturel — dans le Québec d’aujourd’hui. Et de demain.

Prenez un instant. Quand vous ouvrez votre radio ou votre télé pour les nouvelles nationales, qu’entendez-vous au sujet des Laurentides ? Un incendie ici, une arrestation là, un fait divers sur l’autoroute 15. Mais très rarement un dossier de fond, une réussite locale, une lutte citoyenne ou un projet structurant en train de naître. On entend parler de ce qui se passe en Estrie, en Mauricie, au Bas-Saint-Laurent, en Abitibi, en Outaouais. Ces régions sont importantes, bien sûr. Mais la nôtre l’est tout autant. Pourtant, elle est à peine visible dans l’espace public québécois.

Heureusement, nous pouvons compter sur nos médias locaux pour raconter ce que nous vivons vraiment. Grâce à leur présence sur le terrain, nous entendons parler de nos écoles, de nos marchés, de nos projets, de nos batailles. Sans eux, nous serions encore plus fragmentés, chaque MRC enfermée dans ses frontières administratives. Leur travail est précieux. Mais il ne peut se substituer à une couverture nationale qui nous inclurait à part entière dans le récit québécois.

Et cela a un prix. Car ce qu’on ne voit pas, on le soutient moins. Ce qu’on n’entend pas, on le finance moins. Regardez l’hôpital régional de Saint-Jérôme. Il dessert un bassin de population comparable à celui de Maisonneuve-Rosemont à Montréal, mais sa modernisation avance à pas lents, presque en silence. Ce silence, vous l’avez peut-être ressenti en attendant un rendez-vous médical. Ou en voyant votre mère transférée à Laval faute de place. Il ne s’agit pas ici de se comparer pour se plaindre, mais de se mesurer pour être enfin reconnus.

Et cette reconnaissance ne passe pas uniquement par les infrastructures. Elle passe aussi par la politique. Les Laurentides ont élu le plus grand nombre de députés d’un même parti aux dernières élections. Plusieurs ministres viennent d’ici. Mais à entendre certains discours nationaux, on pourrait croire que nous pesons peu. En réalité, nous sommes ex aequo avec la Capitale-Nationale en nombre de députés. Nous sommes la deuxième région en nombre de MRC. Et dans le top 100 des villes québécoises les plus peuplées, 17 sont chez nous. Saint-Jérôme se hisse au 14e rang. Ça aussi, ça devrait compter.

Notre région vit. Elle se transforme. Elle porte des projets, des idées, des élans. Elle a aussi ses fragilités : un développement souvent désordonné, des services qui ne suivent pas toujours, des villages qui peinent à garder leur identité. Mais rien de cela n’est une fatalité. Ce sont des défis, et donc des appels à mieux faire ensemble.

Ce qu’il nous manque, ce n’est pas de substance. Ce qu’il nous manque, c’est une voix partagée. Une capacité à raconter qui nous sommes, autrement que par l’image qu’on projette de nous. Pas pour se plaindre. Pour exister pleinement.

Les Laurentides n’ont pas à crier. Mais elles doivent cesser de chuchoter.

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