Photo : Monia Proulx

Troisième mercredi de novembre : théâtre obligé

Par Philippe Leclerc

La grande messe de 13 h 30

Chaque année, le troisième mercredi de novembre, toutes les MRC du Québec montent sur scène en même temps. Code municipal oblige : séance spéciale, budget adopté avant la fin de l’année pour que les villes puissent boucler leurs chiffres.

Sur papier, c’est de la mécanique comptable. Dans la vraie vie, ça ressemble à du théâtre d’après-midi : 13 h 30, en plein milieu d’une journée de travail, des élus en rôle principal… et un public à peu près inexistant.

À La Rivière-du-Nord, cette année, le décor était planté à Prévost. Programme double : installer le nouveau conseil après les élections et adopter environ 15,9 M$ de budget régional pour 2026, répartis entre l’administration, l’évaluation, le développement économique, le transport et les matières résiduelles. Le tout, entre deux séries de nominations et un renouvellement de préfet… sans suspense.

Préfecture : suspense zéro, enjeu bien réel

Ce troisième mercredi de novembre, on avait droit à la suite logique des élections gagnées par acclamation : même monde, même texte.

Québec a changé les règles : le mandat de préfet est maintenant de quatre ans, sauf si le conseil décide de le limiter à deux. À La Rivière-du-Nord, on a choisi deux ans. Difficile de ne pas y voir une porte entrouverte : deux ans pour que Saint-Jérôme décide si elle veut vraiment reprendre le flambeau régional et s’asseoir à la table des préfets des Laurentides.Ce serait une excellente nouvelle.

Pour l’instant, pas de duel ni de grand moment dramatique : on propose le nom du préfet sortant des quatre dernières années, Xavier-Antoine Lalande; il accepte, il est élu par acclamation. Merci, bonsoir. On sent que son mandat se fera sous surveillance, avec une obligation de résultat bien concrète : réussir à recoller l’axe ouest-est de la MRC avant de prétendre jouer dans les grandes ligues régionales.

15,9 M$ : petit, normal ou ambitieux?

On peut bien découper le budget en tranches – administration, urbanisme, développement économique, transport collectif, gestion des matières résiduelles – mais, pris tout seul, 15,9 M$, ça ne dit pas grand-chose.

Ce qui devient intéressant, c’est de se demander : pour une MRC comme Rivière-du-Nord, c’est quoi, 15,9 M$? On parle d’un territoire autour d’une ville-centre forte, avec un rôle régional à assumer.

Dans cette catégorie-là, on retrouve par exemple Drummond et le Haut-Richelieu. Des MRC comparables : une ville-centre importante, un territoire autour, des services régionaux à coordonner.

À Drummond, le budget 2026, à 16,3 M$, très proche de celui de Rivière-du-Nord, est présenté carrément comme l’outil d’un « gouvernement régional » : on parle de réviser le schéma d’aménagement, de mettre en place un Plan climat. Autrement dit : on dit clairement au monde sur quoi on va travailler avec l’argent.

Au Haut-Richelieu, la MRC porte directement des gros mandats – matières résiduelles, sécurité incendie, développement économique – et assume son rôle de plaque tournante régionale. Là aussi, on prend la peine d’expliquer la trajectoire : vers où on s’en va, et pourquoi.

Même calibre de MRC, donc, mais ailleurs on ajoute quelque chose d’essentiel : une vision, une histoire qu’on raconte aux citoyennes et citoyens.

Et à La Rivière-du-Nord?

Ce troisième mercredi de novembre, à La Rivière-du-Nord, le budget n’arrive pas comme le cœur de la soirée, mais comme un point parmi d’autres après une longue série de nominations. On lit des listes de noms pour siéger sur les comités : parcs, Petit Train du Nord, Tricentris, sécurité publique, transport… Le maire de Prévost, Paul Germain, se ramasse plusieurs de ces chapeaux-là.

Ensuite, on passe au budget. On lit les montants des différents règlements, on propose, on adopte. C’est réglé en quelques minutes.

Mais on ne prend jamais vraiment le temps d’expliquer le fond :

  • Qu’est-ce qu’on veut améliorer, concrètement, pour le transport collectif?
  • Où s’en va la MRC sur le climat et l’environnement?
  • C’est quoi le plan de match en développement économique, en habitation?
  • Qu’est-ce qui distingue Rivière-du-Nord d’une autre MRC, dans cinq ans, dans dix ans?

Pour une MRC qui accueille la capitale régionale, le contraste est frappant. Ailleurs, on semble se servir du budget pour dessiner un projet de territoire. Ici, on a parfois l’impression d’un décor monté solide, avec de bons réflexes administratifs… mais qui sonne un peu creux quand on tape dessus et qu’on demande : « C’est quoi l’histoire, au juste? »

Qui regarde encore ce théâtre-là?

La séance se termine comme elle a commencé : on remercie le technicien qui gère la webdiffusion, on fixe les dates des prochaines rencontres (toujours en après-midi), on blague sur les élus qui arriveront « dépeignés » parce qu’ils auront déjà une autre réunion le matin.

Pendant ce temps, à coups de résolutions techniques, on renouvelle une préfecture, on adopte 15,9 M$ de budget en quelques minutes, on engage la région sur des enjeux très concrets : transport, aménagement, environnement, développement économique.

Mercredi, 13 h 30. Les enfants sont à l’école, le monde est au travail, la salle est presque vide. La démocratie régionale joue sa pièce, devant quelques chaises empilées et une caméra fixe.

Le jour où quelqu’un, au fond de la salle, lèvera la main pour demander : « Ok, mais à quoi ça sert, tout ça, pour vrai, pour notre monde ici? », j’espère qu’on saura répondre autrement qu’avec une liste de règlements numérotés. Et qu’on sera enfin capable de parler de ce que devrait être une MRC : pas seulement une machine à répartir des quotes-parts, mais un lieu où on décide ensemble d’une vision pour les cinq municipalités de La Rivière-du-Nord..

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *