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Samuel

Par Mimi Legault

Il m’arrive parfois de me demander ce que sont devenus certains de mes élèves. Et la semaine dernière, j’ai eu une réponse qui m’a laissée pantoise. Je vous raconte l’histoire. Samuel, (nom fictif, il va de soi) 8 ans, n’était pas un enfant heureux. Ça ne prenait pas un diagnostic en trois copies pour s’en rendre compte. Il venait d’une famille dite normale. Un père, une mère et une sœur. Bémol en partant pour cette grande sœur sage comme une image, tout le contraire de son frangin.  Ces éternelles comparaisons parentales, ça le tuait à petit feu. Je le revois encore arriver dans ma classe. Tout petit avec de grands yeux bruns prêts à dégainer. Haut comme trois pommes, peut-être quatre, chétif et traînant sur ses épaules une petite tête d’ange. Je m’attendais à apercevoir un matador; ben non, une petite virgule en trottinette avec du poivre de cayenne dans l’toupet à faire cailler le lait.

Dès les premiers jours de septembre, il a atteint son but : se faire détester autant par les filles que les gars. Il a réussi 10 sur 10. Bonne moyenne. Juste un exemple parmi tant d’autres. Un jour, je lui demande de venir au tableau. Il quitte sa place et avant même d’arriver en avant, il avait tiré les tresses d’Audrey, jeté par terre le cahier d’Arnaud, piqué l’efface de Romy. Tout ça dans un temps record, 10 sur 10. J’avais été prévenue par la travailleuse sociale, Samuel était un enfant agressif, turbulent, irresponsable et hyperactif. Ça ne m’énervait pas le poil des jarrets. J’en avais vu d’autres. À force de patience, d’interactions, d’échanges doux, d’explications avec ses pairs, ça allait mieux en classe. On a fini par s’aimer bien, lui et moi.

Ses problèmes, il les vivait en dehors de la classe : pendant les récrés, dans l’autobus (le chauffeur ne voulait plus l’avoir dans son véhicule), avec les surveillantes du dîner, après te temps des classes. La procédure a suivi son cours : rencontres répétées avec la direction, le psychologue, la TES (technicienne en éducation spécialisée). Samuel ne lâchait pas côté mauvais coups. Ses parents… Je ne compte plus les fois où on s’est assis ensemble. Pour eux, c’était clair. Si leur fils à la maternelle avait eu de gros problèmes, c’était à cause de l’enseignante. Même rengaine pour la première année. Pour la 2e et la 3e année, ils ont trouvé une autre raison, sinon ça devenait gênant. C’était à cause des autres enfants de la classe. En 4e année, ils sont devenus à court d’arguments. Ils niaient la situation, une sorte d’écran protecteur en évinçant l’évidence. Sans lever le drapeau blanc, ils me montraient leur désespérance en refusant d’ouvrir leur réservoir d’accueil. L’équipe leur a proposé des solutions. La mère, presque muette me fusillait du regard à chaque rencontre. Lui, il faisait oui de la tête. Ils étaient dépassés par les facéties de leur fils. Je leur demandais qu’une chose : de l’amour, du temps passé avec lui et encore de l’amour. Il me fallait une patience de vautour davantage avec eux qu’avec Sam.

Ce garçon avait un talent en dessin et en maths. J’avais proposé aux parents de l’inscrire à des cours d’art, pas le temps, qu’ils m’avaient répondu. Aussi, je lui demandais s’il voulait bien aider un autre élève qui n’arrivait pas à résoudre son problème mathématique. Ça augmentait son estime de soi. Il y avait un cahier avant-gardiste qui permettait aux parents de s’asseoir avec Samuel afin de travailler des thèmes fort simples. Ces exercices auraient pu leur permettre de développer une bonne relation avec fiston. Ils m’avaient alors répondu que ça ne les intéressait pas!!! À la maison, comme punition, Sam devait passer de bonnes minutes à genoux dans un coin. Imaginez…

Si je vous parle de Samuel, c’est à cause de ce fait divers dans le Journal de Montréal : Samuel G. vient d’être arrêté pour vol à main armée, séquestration et tentative de meurtre. Dans ma tête, j’entends ses parents dire : c’est à cause de la société… Ils ont sans doute raison, 10 sur 10.

 

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