Le clic ultime
Par Frédérique David
Pendant que, à 7 000 km de chez nous, des citoyens désespérés chérissent l’ultime espoir de survivre à un nouveau bombardement, d’autres, ici, concentrent leurs efforts à publier la déclaration qui provoquera le clic ultime qui les portera vers la gloire virtuelle, le succès médiatique, le soulèvement de la Toile, le buzz du moment.
Difficile de ne pas ressentir un malaise, de ne pas voir une grossière indécence face à des préoccupations aussi futiles dans un contexte aussi dramatique. Difficile de comprendre certaines préoccupations nombrilistes à un moment où tout devrait nous pousser à penser au vivre-ensemble, à la solidarité, au « nous » qu’il faudrait reconstruire pour que l’avenir de nos enfants ne soit pas réduit à une ruine.
La vie continue, me direz-vous, et les préoccupations futiles nous permettent peutêtre d’avancer sur ce terrain miné en nous donnant l’espoir d’y trouver un chemin plus paisible. La guerre des clics nous permet peut-être d’échapper quelques instants à la barbarie d’autres combats et de maintenir notre santé mentale. Sauf que ces clics qui gèrent notre vie par l’intermédiaire des réseaux sociaux mènent à des dérapages désolants. À trop vouloir en récolter, certains se mettent à écrire des propos indécents, à faire des déclarations indignes et scandaleuses, comme cette Mère ordinaire dont la publication sur l’enseignante d’un de ses enfants partie en congé de maternité est vite devenue virale.
Il y a un risque à s’indigner sans réfléchir, à vouloir provoquer pour récolter des clics, des vues et des partages, à écrire trop vite des propos qui se répandront sur la Toile à une vitesse vertigineuse, sans retour en arrière possible, et feront basculer en quelques heures la gloire de son autrice dans un abîme de honte. Bianca Longpré n’est pas la première à mesurer l’impact de quelques mots sur son avenir médiatique. Cette arrogance et cette indignation qu’elle cultive depuis des années pour faire croître sa popularité l’ont conduite brusquement et rapidement dans un mur. Et bien que ses propos soient indignes d’une femme de 2022 mère de quatre enfants, la haine et les violentes attaques qu’elle subit sont tout aussi honteuses et condamnables.
Je ne m’étendrai pas sur la fragilité des droits des femmes révélée par cette déclaration déplorable ni sur les luttes qu’il reste à mener, puisque cela nécessiterait une chronique complète, voire plusieurs. Je ne m’étendrai pas non plus sur les failles de notre système d’éducation que cela révèle, notamment cette pénurie qui perdure dans une profession trop peu valorisée, trop peu soutenue, trop peu écoutée, car cela prendrait de nombreuses chroniques.
Cette nouvelle polémique soulève un triste constat : le manque de vrais débats, d’arguments, de réflexions profondes qui feront avancer notre société. La course aux clics n’a fait que cultiver du vide, de l’ignorance, de l’arrogance, un manque de respect et une haine devenue malheureusement ordinaire.
Mesure-t-on réellement les dangers de toutes ces polémiques, les conséquences de cette soif de clics pour plus de profits, plus de popularité? Réaliste-t-on vraiment combien la polarisation des opinions exacerbée par les réseaux sociaux nous mène vers une violence extrémiste?
Face à ce vide qui se répand comme du venin, face aux idioties qui se propagent comme de la mauvaise herbe, face à cette violence verbale devenue banale, encourageons les arguments, les réflexions appuyées et les idées qui mèneront vers un monde meilleur.
Encourageons ce qui mettra fin à cette haine ordinaire, à ces guerres sans nom et à notre terrible pouvoir d’autodestruction. Partageons, transmettons, ouvrons nos coeurs, mobilisons-nous et faisons pousser des fleurs sur le bitume gris de nos existences. Inspirons-nous des enfants qui se tiennent la main pour regarder les oiseaux voler dans le ciel encore bleu. Soyons dignes de ce que nous sommes et devenons fiers de notre court passage sur Terre. Car dans le monde, rien n’arrive sans nous.