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Deux ours polaires en 12 heures !

Par Daniel Calvé

Chronique : 9 mois en artique

 

Ce n’était qu’une question de temps avant que Sunniva et Hilde ne fassent la rencontre d’un ours polaire. Et elles ont été servies deux fois plutôt qu’une !

Sunniva a vécu son premier face à face, elle qui a plutôt l’habitude de côtoyer les sympathiques pingouins de l’Antarctique. Un soir qu’elle s’apprêtait à sortir pour fermer les épais volets et éteindre le récepteur émetteur satellite Mission Link, elle l’aperçut en franchissant la porte : le grand mammifère marin blanc se tenait à deux mètres à peine ! Elle a vite allumé la lumière extérieure, ce qui a vraisemblablement effrayé la bête qui l’a regardée brièvement avant de repartir en courant vers le fjord. Tout un choc suivi d’un grand soulagement ! C’était la première fois que Sunniva voyait un ours polaire de si près et celui-ci, à en juger par la dimension de ses traces, devait bien peser 600 kilos !

Dans un tel environnement brut et sauvage, on ne peut pas faire autrement que de se sentir extrêmement vulnérable. Hilde et Sunniva passent beaucoup de temps à l’extérieur et il y a plein d’endroits où un ours peut se cacher : matériel, piles de bois, barils de nourriture, petit sauna, conteneur de glace, motoneiges, glacières. Sans compter qu’il fait nuit noire 24 heures par jour ! Vivre en harmonie avec la faune est leur priorité. Mais cela demande préparation et vigilance. C’est pourquoi elles font presque tout ensemble.

Le lendemain matin, alors qu’elles marchaient vers l’ouest, elles aperçurent 300 mètres plus loin un grand ours polaire qui se dirigeait vers le nord. Visiblement, il s’est enfui en les entendant. Elles suivirent ses traces et, à leur grande surprise, repérèrent un renne ensanglanté étendu sur la neige. Mort depuis peu.

C’est la troisième fois seulement qu’Hilde observe ce phénomène — un renne tué par un ours polaire — elle qui a vu plus de 200 ours polaires dans sa vie. La deuxième, c’était en avril dernier. Leur nourriture principale est le phoque. Mais depuis que la glace diminue dans le fjord en raison du réchauffement climatique (deux fois plus rapide en Arctique qu’ailleurs sur la planète), les phoques sont moins accessibles et le renne constitue une solution de rechange. Sauf que l’ours doit apprendre à le chasser, car il est beaucoup moins rapide. Celui-ci avait manifestement guetté sa proie cachée derrière une colline avant de la dévaler au moment opportun. Sunniva et Hilde ont vu les traces de dérapage.

Børge Damsgård, chercheur à l’UNIS (University Institute of Svalbard) et partenaire de la mission Hearts in the Ice, confirme : « Ce phénomène est effectivement très rare. Nous savons qu’un ours polaire peut manger du renne mais difficilement le chasser. La communauté scientifique se demande si le renne peut ou non constituer une nouvelle source de nourriture pour permettre aux ours polaires de s’adapter au réchauffement climatique mais il y a peu de données disponibles. »

Ian Sterling, qui étudie les ours polaires depuis 37 ans pour le Service canadien de la faune, précise que l’ours polaire consomme presque exclusivement la graisse et la peau des phoques, car il doit emmagasiner un maximum de gras pour l’hiver. Le renne constitue donc une piètre option, car sa viande est maigre. L’ours qui chasse un renne est si affamé qu’il s’attaque à n’importe quoi. Certains ours mâles vont même jusqu’à manger les petits oursons (mais pas les leurs). Ian a d’ailleurs observé les effets négatifs du réchauffement climatique sur la population d’ours polaires, qui a chuté de 30 % entre 1987 et 2011. Le poids moyen d’une femelle est passé de 275 kg en 1980 à 225 kg en 2018.

Un ours mange en moyenne 43 phoques par an. Au printemps, période où il emmagasine les deux tiers de l’énergie nécessaire pour combler ses besoins annuels, c’est un phoque tous les 3-4 jours. Les étés (période de jeûne) étant de plus en plus longs, il doit donc trouver de nouvelles solutions s’il veut assurer sa survie.

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