(Photo : Courtoisie )
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Marguerite Blais

Par Rédaction

Députée de Prévost et ministre responsable des Aînés et des Proches aidants

1 – Avez-vous un souvenir précis de l’évènement du 6 décembre 1989, ou en avez-vous entendu parler? Décrivez la situation.  

En 1989, j’étais en train d’adopter mon troisième enfant, j’étais au Guatemala. Quand c’est arrivé, j’étais à l’orphelinat du Guatemala. Pour moi, ça été un gros choc parce que j’étais à l’extérieur d’un endroit qui touche particulièrement des personnes où je vis. Cette histoire-là a marqué l’imaginaire. On assassine 14 femmes pour cause de misogynie. Et moi je suis là en train d’adopter un enfant. Ça m’a marqué, je n’oublierai jamais ça.

2- Qu’est-ce que l’évènement a-t-il déclenché chez vous? Quelles sont les émotions ressenties?  

Moi j’ai 69 ans, je fais partie de la génération des femmes à qui on disait « soit belles et tais-toi.» Moi j’étais une blonde et les blondes, c’était des cocottes. Alors de voir qu’on assassine des femmes qui veulent devenir des ingénieures, des jeunes femmes, c’est épouvantable.

3- Quel est l’impact qu’un tel évènement a-t-il eu sur votre choix de carrière ou comment cela a-t-il influencé votre vie en général?

Il y a eu un certain impact, mais pas directement, plutôt indirectement. À l’âge de 41 ans, on m’a dit que j’étais trop vieille pour travailler dans mon métier d’animatrice à la télévision. Ainsi,  quelques années plus tard, je suis allée à l’université pour la première fois. Avec mes yeux universitaires, si je fais une comparaison avec ce qui s’est passé, je me suis demandée comment une telle chose peut se produire dans une université. De nos jours, on voit beaucoup, aux États-Unis, des gens qui vont assassiner des jeunes dans des écoles secondaires. Tu te poses la question, comment est-ce possible d’assassiner des étudiants? Des gens qui veulent prendre leur place dans la société, qui veulent développer des connaissances. C’est de cette façon-là que ça m’a touché.

4- En lien avec l’évènement, comment votre vision de l’éducation des enfants a-t-elle été influencée?  

Moi j’ai adopté des enfants. Ma fille avait 7 ans, mon fils 5 ans mon autre 11 ans. Je me souviens très bien d’un épisode. Je demandais à mon enfant de mettre la table, mettre les napperons, les couteaux, les fourchettes. Il a dit « non je ne suis pas une fille. » J’ai dit « pardon? » Il faut qu’il y ait une égalité entre les femmes et les hommes. « Je veux que tu mettes la table et je ne veux plus jamais t’entendre dire ça. » Pour moi ça toujours été très important l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est l’éducation que j’ai reçue. Ma mère en 1953 enseignait la danse aux claquettes. C’est elle qui rapportait de l’argent. Mon père était un poète. C’était comme un renversement de pouvoir. L’égalité entre mon père et ma mère était la même. Ma mère faisait de l’argent, mais c’était de l’argent pour toute la famille. Je suis contre le fait qu’il y ait des hommes qui n’acceptent pas qu’une femme puisse faire plus d’argent que lui. Je suis foncièrement une féministe. Je crois que dans un couple, si un des deux fait plus d’argent, tant mieux, on met l’argent en commun, on se fait plus de voyages, on aide davantage nos enfants. Pour moi, la bataille, quand mon fils ne voulait pas mettre la table, c’est un petit évènement, mais c’est un évènement qui peut en dire beaucoup. Si tu laisses ta progéniture agir comme ça, si tout de suite tu n’es pas capable de mettre le poing sur la table, tu viens de les perdre pour un bon bout de temps.

5- 30 ans plus tard, quelle est votre perception de la place de la femme dans la société actuelle?  

Je considère que la place des femmes a beaucoup évolué, mais il reste encore un plafond de verre, beaucoup de travail à faire. Quand on apprend que des actrices sont moins payées que les hommes pour faire leurs rôles, comme c’est arrivé dans la série The Crown, c’est inadmissible. Les batailles ne sont pas encore gagnées. La femme je pense, va toujours devoir se battre pour prendre sa place et pour conserver sa place.

6- Avez-vous été témoin d’une évolution dans la société ou chez l’ouverture d’esprit des hommes? Si oui, la décrire.  

Moi j’ai eu un mari qui est décédé et qui a été extraordinaire. On a été ensemble 37 ans. Si j’ai été capable de faire toute ma carrière à la radio, à la télévision, de faire de la politique, c’est parce qu’il a accepté de faire le marché, de faire à manger, de faire les devoirs avec les enfants. Alors moi j’ai été privilégiée d’avoir dans ma vie un homme qui m’a tout offert, c’est-à-dire qui m’a ouvert toutes les portes pour que je puisse m’accomplir, mais ce n’est pas toutes les femmes qui ont cette chance-là dans la vie. Il y a en a beaucoup qui sont rabaissées, moi j’ai eu ce bonheur-là de pouvoir prendre totalement ma place. Il y a beaucoup plus d’ouverture d’esprit qu’il y en avait. Je crois que les hommes et les femmes travaillent de plus en plus mains dans la main.

7- Comment s’exprime le féminisme d’aujourd’hui à vos yeux, à travers par exemple les mouvements sociaux récents comme #MeToo?

Je ne veux pas parler de ce féminisme-là. Des fois, être féministe, ce n’est pas nécessairement être féministe dans un moule donné. Être féministe c’est bien des choses. Je crois que j’ai été féministe à ma façon quand j’étais plus jeunes et qu’on me disait soit belle et tais-toi et que je me suis battue pour parler. Je crois que j’étais féministe parce que je voulais prendre ma place en tant qu’animatrice, je l’ai prise. Maintenant en tant que femme, comme députée en tant que ministre, quand je pense qu’on doit faire des choses par rapport aux femmes, on le fait. Au niveau de la maltraitance des aînés, celle-ci est majoritairement faite envers des femmes. Alors de faire un plan d’action pour combattre la maltraitance, la reconnaitre, mettre en place des actions, je crois que c’est une forme de féminisme. C’est-à-dire de protéger les plus vulnérables. Le féminisme ce n’est pas tout le temps comment on s’habille et comment on s’articule dans les médias sociaux, c’est comment on s’articule dans la société à travers les actions qu’on prend pour améliorer les conditions de vie des gens.

8- Avez-vous vécu des réticences ou des traitements différents au cours de votre parcours professionnel parce que vous êtes une femme?

Oui, c’est sûr. J’étais blonde, j’étais cocotte. Les blondes étaient cocottes, il fallait prouver qu’on était intelligentes. Un jour, j’ai obtenu mon doctorat et il y a un homme qui m’avait connu toute ma vie qui m’a dit « Marguerite t’a réussi à prouver que t’étais intelligente. » Il y en a un autre qui m’a dit à 40 ans que j’étais trop vieille pour faire mon métier. Parce que les femmes à 41 ans c’est trop vieux! Il faut qu’elles aient du botox. Les hommes ils peuvent vieillir à la télévision mais les femmes, c’est plus difficile. On demande aux femmes comment elles sont habillées. Regarder Pauline Marois, on la jugeait sur ses boucles d’oreilles, pas sur ses idées, sur ses boucles d’oreille et ses foulards. Est-ce qu’on fait ça chez un homme? Est-ce qu’on juge sa cravate? Est-ce qu’on est en train d’examiner son veston? Mais les femmes on parle toujours de vêtements, de coiffure, de lunettes, c’est fou mais c’est de même.

9- Dans un monde idéal, quelle serait votre souhait de société pour les générations futures?

Qu’il y ait la parité, l’égalité entre les hommes et les femmes, dans tous les domaines d’activité. C’est mon souhait le plus cher. Qu’on reconnaisse les femmes à leur juste valeur que ce soit au niveau financier, au niveau intellectuel, au niveau des postes décisionnels, dans les postes d’administration. Parfois on a une femme autour de la table dans un conseil d’administration pour que ça fasse comme chic, pour montrer qu’on a une femme. Il faut qu’on vise la parité dans toutes les sphères de la société.

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