Félix Rose en discussion avec son oncle, Jacques Rose.
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Les Rose : Le résultat unique et révélateur d’un grand casse-tête

Par Journal-le-nord

Il avait 6 ou 7 ans. Ça se passait dans un rassemblement familial. Sa cousine est venu le voir et lui a dit que son père avait tué un ministre. Toute sa vie, Félix Rose a été habité par le désir de comprendre ce qui avait amené son père, Paul Rose, à poser des gestes aussi graves. Après 8 ans de travail acharné, il dévoile le film « Les Rose » qui s’inscrit dans une quête de ses origines et qui raconte à travers famille à la fois détestée et admirée, une histoire qui aura marqué le Québec : celle de la crise d’Octobre.

Très jeune, dès l’âge de 12 ans, Félix Rose a commencé à s’intéresser à ses racines familiales par l’entremise d’un projet d’école sur la généalogie. Or, pendant longtemps, par respect, il n’a pas osé poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. Puis, au retour d’un voyage en Irlande avec son père, Félix a décidé qu’il devait absolument faire quelque chose à son sujet. C’est en 2012 qu’il s’est mis à travailler plus sérieusement sur son projet de documentaire et en mars 2013, il le présentait à son père. « Nous avons eu des discussions assez importantes. Il m’a fait comprendre que pour lui, il y a eu une séquence d’évènements qui l’ont mené à poser des gestes aussi graves. » Un contexte que le réalisateur nous fait découvrir à travers son film, en prenant bien soin de ne jamais nous l’imposer.

Environ une heure après lui avoir fait cette présentation, Paul Rose a eu son AVC, se souvient son fils. Comprenant qu’il était mourant, ce dernier s’est rendu à son chevet. « Je lui ai dit : papa, je vais aller au bout de ce projet-là. Et c’est pour cette raison que j’ai travaillé pendant 8 ans là-dessus, pour en arriver au résultat que nous avons aujourd’hui. »

Une pièce à la fois

Félix et Paul Rose étaient très proches : « Mon père, c’était comme mon meilleur ami », confie le cinéaste. « Ce qu’il m’a transmis comme héritage, c’est l’amour du pays, du territoire, de la famille et surtout, la curiosité et le goût de la recherche. Toute la recherche que j’ai réalisée pour « Les Rose », c’est un peu mon père qui me l’a enseignée quand on faisait la généalogie ensemble. Sans le savoir, il m’aidait à préparer le film que j’allais faire après son décès. »

En effet, la réalisation du documentaire s’est étendue sur plusieurs années en raison majoritairement des recherches exhaustives et nécessaires pour trouver les images et faire le portrait d’une époque souvent racontée, de manière originale. « Ce sont souvent les mêmes archives que nous voyons quand nous parlons de la crise d’Octobre alors j’ai décidé d’aller beaucoup plus loin. J’ai fouillé dans les archives personnelles de mon père et j’ai fait plein de trouvailles. Même chose chez mes tantes. […] C’était comme un énorme casse-tête et pendant 8 ans, j’ai cherché toutes les pièces pour pouvoir raconter mon histoire. »

À cœur ouvert avec sa famille

Du temps précieux a aussi été nécessaire pour gagner la confiance de ceux qui allaient se confier sur leur vécu. Son oncle, Jacques Rose, a été particulièrement difficile à convaincre. « Un jour il m’a appelé pour me demander de l’aider pour poser des fenêtres. J’ai dit oui, à condition qu’il me donne des entrevues à tous les jours. Le matin, nous travaillions comme des fous. Le soir, nous étions fatigués, mais il ne voyait même plus la caméra. C’est devenu une conversation intime entre un neveu et son oncle. » Ces échanges ont notamment donné naissance à des moments touchants dans lesquels se confie sans filtre et avec émotions le frère de Paul Rose.

Félix Rose est allé à la rencontre des membres de sa famille que ce soit son oncle, ses tantes ou encore sa mère, pour leur poser des questions parfois difficiles et essayer de comprendre la dynamique de cette famille qui a marqué le Québec des années 70. Il a choisi de tenir ce rôle dans son documentaire dans le but d’assumer pleinement sa subjectivité, lui qui dans sa position, savait pertinemment qu’il ne pouvait pas se donner l’ambition de réaliser un film objectif sur le sujet. « J’ai décidé de partir de moi et de raconter l’histoire de ma famille telle que je la perçois et tel que je les connais. Ce n’est pas la vérité, mais c’est une vérité; celle de la famille Rose. »

Rose Rose, révélation du film

Au fil du documentaire, nous en apprenons beaucoup notamment sur Paul et Jacques Rose, mais le cinéaste nous transporte aussi habilement vers l’origine même du militantisme des deux frères en mettant la lumière sur leur mère, Rose Rose, dont les luttes ont aussi marqué l’époque dans l’ombre de ses fils. Le réalisateur souligne que sa grand-mère fut pour lui la « révélation » du film. « Pour comprendre les frères Rose, il faut comprendre leur mère et leurs valeurs. Quand ils [Paul et Jacques] ont été arrêtés, ostracisés et présentés comme des terroristes, ma grand-mère est sortie publiquement pour défendre ses fils. Il fallait beaucoup de courage et elle l’a fait pendant 10 ans. » De plus, Rose Rose a entamé des luttes bien au-delà de ses deux fils, elle qui a notamment fondé le Comité d’information sur les prisonniers politiques avec d’autres figures connues et qui s’est battue pour améliorer les conditions de vie des détenus dans le milieu carcéral. « Elle a profité de sa notoriété pour exposer les problèmes qui étaient vécus en-dedans. »

Des combattants

Ce travail de réalisation et de recherche a permis à Félix Rose de mieux comprendre sa famille et d’où elle venait.

« J’ai appris à quel point malgré l’adversité, malgré tout ce qu’ils ont vécu, ils sont demeurés unis, ils ont été solidaires. Ce sont des gens qui se sont battus pour le changement et pour améliorer leur situation et celle de leurs proches. C’est comme ça que je vois ma famille, comme des combattants. » Félix Rose se considère-t-il lui aussi comme étant revendicateur et militant? « Je ne me suis jamais considéré comme un militant. Je viens d’une famille militante, mais moi ce que j’aime en tant que documentariste, c’est de mettre en lumière des gens. C’est certain qu’étant donné que j’ai grandi dans une famille  militante, j’aime raconter des histoires de militants. »

Étant bien conscient que son père demeure une figure très controversée au Québec, Félix Rose s’attendait au pire lorsqu’il a dévoilé le résultat de huit années de travail. Or, à sa grande surprise, la réception est plutôt positive depuis la sortie du film. « Je pense que les gens comprennent la démarche et que le but n’est pas de banaliser les gestes, mais de comprendre les motivations. »

Le but ultime de cette longue quête pour le cinéaste était non seulement de mieux comprendre personnellement les motivations derrière les gestes de son père et de son oncle, mais aussi d’exposer au public le contexte et les raisons qui ont mené à des actions aussi marquantes. « Pour comprendre la crise d’Octobre, je crois que ça aide beaucoup de connaître la famille Rose et de comprendre le contexte des canadiens-français de l’époque. » C’est mission accomplie pour le cinéaste qui sans plonger dans une spirale justificative des actes posés, assume pleinement sa subjectivité tout en présentant un résultat équilibré et nuancé entre humanité et réalité. On ne tombe jamais dans un désir d’excuser ou de banaliser les gestes, mais plutôt dans une volonté de comprendre et de questionner.

 

Félix Rose. Photo : Eric Piccoli

« Les Rose » est le troisième film de Félix Rose, lui qui a aussi réalisé les documentaires « Avec la gauche » et « Yes ».

La série télévisée de six épisodes qu’il a co-réalisée avec Flavie Payette-Renouf, « Le denier felquiste », sera pour sa part diffusée sur Club Illico cet automne, coïncidant avec les 50 ans de la crise d’Octobre. Le projet donne la parole aux journalistes Antoine Robitaille et Dave Noël et se penche sur Mario Bachand, un felquiste assassiné près de Paris en mars 1971.

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