(Photo : Courtoisie)
Richard Lagrange est historien et a écrit souvent sur l’histoire des Laurentides.
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Labelle et son pays rêvé

Par Simon Cordeau

Relier le Québec et le Manitoba par un corridor de francophones en colonisant le Nord : voilà quel était le plan du curé Labelle. C’est ce que l’historien Richard Lagrange soutient dans son ouvrage Le pays rêvé du curé Labelle : Emparons-nous du sol, de la vallée de l’Ottawa jusqu’au Manitoba, paru aux Presses de l’Université Laval.

« Le curé Labelle, les gens l’ont surtout connu dans le cadre d’une émission de divertissement, d’abord avec Les Belles Histoires des pays d’en haut, diffusée de 1956 à 1970. Mais si tu fais le travail d’un historien, le vrai personnage est très loin de celui de la télévision », lance d’entrée de jeu M. Lagrange.

Un projet nationaliste

« Il voulait créer un corridor de francophones du Québec jusqu’au Manitoba. […] Il voyait tout de suite, au 19e siècle, que les francophones disparaîtraient s’ils n’occupaient pas davantage de territoire du Canada. Il voyait qu’ils deviendraient une minorité. […] C’est ça, son projet, et beaucoup d’historiens ont passé à côté de ça », explique l’historien.

M. Lagrange croit que la complexité du curé Labelle a été occultée par le fait qu’il appartenait au clergé. « Les ecclésiastiques, les curés ne pouvaient pas avoir de projets d’envergure. Ils s’occupent de leurs ouailles, ils sont conservateurs, voire ultra-conservateurs », ironise-t-il. Pourtant, il s’agit d’un personnage dans l’action pour sauver la nationalité canadienne-française, affirme l’historien.

Quand Labelle devient le curé de Saint-Jérôme, le nord est déjà colonisé jusqu’à Sainte-Agathe. Au-delà sont des montagnes difficilement franchissables. Lorsque le curé explore la région et se retrouve de l’autre côté de la montagne, en 1870, il constate qu’une colonie anglophone est déjà établie dans la vallée de la Diable depuis une dizaine d’années. Ceux-ci sont arrivés en remontant la rivière Rouge. « Il s’est retrouvé confronté avec la montée des anglophones. Il voulait bloquer la vallée de la Rouge en la peuplant avec des francophones. »

La colonisation devient alors une obsession pour le curé, qui y consacrera sa vie. « Reconquérir, sans vouloir tirer du fusil. Occuper par le nombre, comme une tache d’huile. S’installer, peupler et noyer les anglophones. Et il voulait se rendre, comme ça, jusqu’au Manitoba », détaille M. Lagrange. Il y avait alors une colonie francophone établie à Saint-Boniface, aujourd’hui un quartier de Winnipeg.

Échec

« Il ne réussira pas. Il fera face à des difficultés, des obstacles insurmontables. » Dans son ouvrage, M. Lagrange fait la liste des raisons pourquoi le rêve de Labelle était impossible.

Parmi elles, travailler aux États-Unis était trop attractif. « On pouvait s’y rendre rapidement et confortablement, en deux heures environ. Toute la famille avait un emploi : les enfants, les femmes, les filles. Les salaires étaient petits, mais on travaillait en français. Les paroisses étaient francophones, avec un curé francophone, des écoles et des journaux francophones, etc. »

À l’inverse, coloniser le Nord avec le curé Labelle avait beaucoup moins d’attrait. 

« Il n’y a que 5 000 Canadiens français qui l’ont suivi. Sur presque un million qui sont partis aux États-Unis, c’est une goutte d’eau. »

Autre obstacle majeur, les compagnies forestières avaient des droits exclusifs sur le bois et sa commercialisation. Ainsi, les colons peuvent défricher leur terre et couper du bois pour se construire, mais ils ne peuvent pas vendre ce même bois. « C’est un capital sur lequel les colons comptaient, pour réinvestir dans leur agriculture, leurs bâtiments de ferme, etc. Mais ils ne pouvaient pas le faire, parce que le bois ne leur appartenait pas. » Souvent, explique M. Lagrange, le bois coupé pourrissait sur le terrain.

« Labelle essaie de briser ce monopole-là, mais il n’a pas réussi. » Il faut savoir qu’à l’époque, les concessions forestières comptent pour 30 % des revenus du gouvernement.

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