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Itinérance : « À chaque mois, je pleure de savoir que je suis encore ici »

Par Ève Ménard

Nous sommes vendredi, en début d’après-midi. La température se fait un peu plus clémente que dans les derniers jours. Tammy est assise en compagnie d’autres itinérants, tout juste à côté de la halte-chaleur du Book Humanitaire, qui ouvrira plus tard ce soir. Je m’assois près d’elle.

Tammy a 52 ans. Ça ne fait que quatre mois qu’elle vit dans la rue. Pendant la pandémie, des membres de sa famille sont tombés malades et elle a perdu son emploi. « À chaque mois, je pleure de savoir que je suis encore ici. C’est difficile. » Heureusement, les services offerts lui sont bénéfiques. Elle partage son temps entre l’extérieur, l’église Sainte-Paule et la halte-chaleur. Tammy côtoie des dizaines d’itinérants et indique voir de plus en plus de nouveaux visages.

Mobilisation et collaboration

Ce n’est pas un hasard : la demande a grandement augmenté dans les derniers mois. Le CISSS des Laurentides nous informe qu’avant la pandémie, le refuge d’urgence ne possédait que neuf lits. Aujourd’hui, ce nombre s’élève à 25. Selon les échos reçus sur le terrain, le refuge de l’église Sainte-Paule, dirigé par Fleur de Macadam, accueillerait même jusqu’à 30 personnes par nuit. « On fait la file d’attente. Les premiers en ligne sont les premiers à l’intérieur », m’explique Tammy.

Devant l’impossibilité d’abriter tout le monde, la halte-chaleur offre une option complémentaire. « L’église, c’est un peu comme la maison et ici, on est le chalet », illustre Chantal Dumont, bénévole au Book Humanitaire. La veille du premier couvre-feu, Rachel Lapierre, présidente-fondatrice de l’organisme, me confiait qu’à chaque nuit, environ 20 à 28 personnes utilisaient en alternance la halte-chaleur. Le 20 janvier, ils étaient 38.

À l’intérieur de la roulotte, des dessins, des toiles et des mots, réalisés par ses utilisateurs, ornent les murs. L’endroit devient tranquillement leur chez soi et des liens de confiance se tissent entre les bénévoles et les itinérants.

Des services efficaces, mais débordés

Au matin, les itinérants peuvent normalement se diriger vers l’église Sainte-Paule où une nouvelle offre de jour, portée par l’organisme du Centre de jour de Saint-Jérôme, est proposée depuis le mois de novembre. Sophie, une intervenante, s’y implique sans relâche, jour après jour. On y sert des jus, du café, des pâtisseries et des diners. Lors de notre passage, une vingtaine de personnes s’y retrouvaient. Certains dormaient sur des chaises installées à leur disposition, alors que d’autres dessinaient sur les tables. Sophie me confie qu’il lui arrive de recevoir une quarantaine de personnes en même temps, l’espace étant aménagé pour faire respecter les consignes sanitaires du mieux possible. « On est pas mal occupés. C’est beaucoup à gérer », reconnait-elle.

D’ailleurs un manque de personnel, mis de pair avec l’achalandage important, empêche le lieu d’ouvrir sept jours sur sept, comme il serait souhaité. Le CISSS des Laurentides nous indique qu’un financement additionnel a récemment été octroyé pour l’embauche d’intervenants supplémentaires.

Rachel Lapierre (au centre) est accompagnée de deux bénévoles du Book Humanitaire, Luc Clermont et Chantal Dumont. Photo : NORDY

« Je n’y crois pas »

Devant la demande significative, ces services sont-ils suffisants? Bien que les efforts soient significatifs, il ne serait pas réaliste de croire, de manière générale, qu’il y a suffisamment de places. « Moi je n’y crois pas, parce que je vois les gens avoir froid dehors, parce qu’on m’appelle pour me dire qu’il y a un itinérant couché sur le boulevard Labelle, ou un autre à Sainte-Agathe », affirme Rachel Lapierre.

L’application du couvre-feu a d’ailleurs entraîné de nouveaux défis, en plus de mettre en lumière certaines problématiques d’accessibilité aux services en région. En effet, il peut s’avérer difficile de se connecter rapidement à des services dans les Laurentides, lesquels sont principalement centralisés à Saint-Jérôme.

« Ce n’est pas facile pour tout le monde de trouver des refuges en ce moment. Si tu es à Sainte-Agathe et il est 20h, tu fais quoi? », questionne Rachel Lapierre.

Pour sa part, Tammy m’indique que tant qu’elle reste sur le site de l’église Sainte-Paule, elle ne risque pas d’avoir de problèmes. « Le couvre-feu, si on ne sort pas de la cour, je ne suis pas inquiète. » À la toute fin de notre échange, elle me remercie gentiment de lui avoir donné la parole et me souhaite une excellente journée.

À lire également dans le même dossier : « J’ai peur de retourner dans la rue »

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