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Discussion intergénérationnelle : l’éducation

Par Ève Ménard

Mimi Legault est non seulement chroniqueuse au Journal, mais elle a aussi été enseignante au primaire pendant près de 35 ans : d’abord en éducation physique, puis dans les classes régulières. À l’école l’Envolée à Saint-Jérôme, elle se plaisait particulièrement dans un environnement nouveau qui cherchait à faire les choses différemment. Elle y suivait les mêmes cohortes d’élèves de la 2e à la 5e année. Autour d’une table chez elle, on discute d’éducation.

Mimi

Je n’ai jamais cru aux rangs, je n’ai jamais cru aux devoirs. Le milieu de l’éducation, je trouve que c’est le milieu le plus antique. Mais je dois dire que ça fait 10 ans que je n’ai pas mis les pieds dans une école. Je suis certaine qu’il y a aussi de la nouveauté.

Ève

Pas tant que ça. Je suis d’accord avec toi. Dans les conversations que j’ai avec des amies qui étudient en enseignement, je réalise qu’elles veulent autre chose. Elles veulent pouvoir noter autrement, enseigner de manière plus dynamique et moins statique. Les professeurs les encouragent à être originaux et à révolutionner le milieu de l’éducation. Mais, un peu ironiquement, elles suivent le modèle traditionnel dans leurs études.

Mimi

C’est ça, il faut aussi changer la formation des professeurs.

Ève

Qu’est-ce qui demeure aussi antique, à tes yeux, dans le milieu de l’éducation?

Mimi

La classe d’aujourd’hui, ça n’a pas de bon sens. Ça ne me rentre pas dans la tête. D’abord, les bulletins. J’ai toujours eu de la difficulté avec les notes et la manière dont étaient départagés les élèves. Moi, quand j’étais jeune, j’étais très forte en français et je ne valais pas une claque en mathématiques. Pourtant, j’étais en 4e année dans les deux matières. Pourquoi aujourd’hui, on ne forme pas des classes en fonction des niveaux et non des âges? Fondamentalement, je ne peux pas croire que l’élève est en 3e année autant pour le français que pour les mathématiques.

Ève

À ton avis, il serait donc préférable de les diviser dans des groupes équilibrés en fonction de leurs forces et de leurs faiblesses, au lieu de les séparer par âge et leur dire qu’ils doivent se débrouiller dans ce groupe-là?

Mimi

C’est ça. Je me souviens d’un élève de ma classe qui arrivait du Vietnam. En raison de son âge, il était dans ma classe de 5e année. Tout ce qu’il me disait c’est « comprends pas ». Je devais alors préparer du matériel de 1re année pour lui. Mes deux élèves les plus forts, lorsqu’ils avaient terminé, au lieu de les pousser davantage, je leur demandais de m’aider.

Ève

Moi, à l’école, j’ai toujours bien réussi. J’ai de la facilité. Au secondaire, j’aidais souvent ceux et celles qui avaient de la difficulté. J’ai une amie qui était aussi très bonne. Nous sommes allées dans le même programme au cégep et maintenant, elle est à l’université en enseignement. Quand on discute d’éducation, elle dit qu’elle s’est toujours sentie un peu abandonnée par le système. Elle prenait souvent de l’avance, et puisque les professeurs devaient s’occuper d’un éventail d’élèves, ils ne la poussaient pas davantage. Elle ne pouvait pas aller plus loin dans son éducation. Bien que consciente de sa chance, elle aurait aimé être plus stimulée. Sans oublier que ses bons résultats menaient à de l’anxiété de performance qui l’a suivie pendant tout son parcours. On peut aussi faire le lien avec la survalorisation de la performance et des diplômes. On valorise énormément les études supérieures. Qu’en penses-tu?

Mimi

Ça me dérange tellement. Mes deux enfants ont arrêté au cégep. Je n’ai jamais cru que l’université définit une personne. Je leur ai davantage appris à se développer. Ils ont eu l’école de la vie plus qu’autre chose.

Ève

J’ai des amis qui ne se sont jamais reconnus dans le milieu scolaire. J’ai l’impression que le système d’éducation est un moule dans lequel certains excellent et poursuivent leur chemin. C’est très théorique et peu pratique.

Mimi

Je suis surprise de t’entendre me dire ça. Qu’au fond, ça n’a pas vraiment changé.

Ève

J’ai eu des discussions avec des amies. Une d’elles est devenue pompière. À l’école, c’était difficile, c’était stressant. Elle ne réussissait pas à performer à la hauteur de ce que le système demandait d’elle. Et ce n’était pas faute d’efforts. J’ai l’impression que le moule ne correspond qu’à un certain type d’élèves.

Mimi

Il ne faut surtout pas déshumaniser l’école et faire des enfants des robots. J’aime mieux un élève qui en sait un peu moins, mais qui a un côté humain développé.

Ève

Au final, le cadre de l’école et ce qu’on imposait aux professeurs ne t’ont jamais plu? Mimi Jamais. Ève Et pourtant, malgré peu d’évolution, tu es demeurée en poste pendant plusieurs années. Qu’est-ce qui te poussait à rester?

Mimi

J’aime profondément l’enfant. Je me disais qu’il fallait au moins qu’ils soient contents de venir à l’école. Qu’ils puissent vivre des expériences entre eux. […] Il y a une phrase de Célestin Freinet qui m’a toujours frappé en éducation : « Tu peux amener ton âne à la fontaine, mais tu ne peux pas le forcer à boire. » Cette pensée m’a toujours suivie. En tant qu’enseignante, je voulais vraiment leur donner le gout d’apprendre. C’est pour ça que j’avais rarement une préparation de classe. Je marchais à l’intuition. Si je voyais que ça allait moins bien, c’était correct pour moi de changer une période de français en mathématiques. Je savais qu’ils travailleraient en équipe et que ce serait plus stimulant.

Ève

C’était donc l’élève au coeur de l’apprentissage?

Mimi

Oui. Et j’aimais beaucoup les élèves difficiles. Probablement qu’ils avaient un problème d’amour et ils savaient que je les aimais. En partant, je leur disais : « Je ne te déteste pas, je t’aime ». Parfois je me demande ce qu’ils sont devenus. Avec le Journal, j’ai des élèves qui me reviennent : « Es-tu la Mimi que j’ai eue comme professeure? »

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