(Photo : Courtoisie)
L’anthropologue Emanuelle Dufour a mis 5 ans de travail et de réflexion pour nous livrer sa première bande dessinée.
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Avant la réconciliation, une vraie rencontre

Par Simon Cordeau

Comment peut-on se réconcilier avec les peuples autochtones… si on ne les connaît pas? Dans la bande dessinée « C’est le Québec qui est né dans mon pays! », nous accompagnons l’anthropologue Emanuelle Dufour dans une série de rencontres : avec elle-même, avec notre histoire, et avec les Premiers Peuples.

« Je sers de protagoniste pour tracer le récit, de fil conducteur pour inviter le lecteur à entrer dans cette réflexion-là », explique Mme Dufour. Comme moi, et comme bien des Québécois, Mme Dufour a grandi en banlieue. Enfant, elle a d’abord connu les Premières Nations à travers l’imaginaire folklorique de Tintin et de Pocahontas. Plus tard, elle s’est rendu compte qu’elle ne savait essentiellement rien des communautés autochtones, des êtres humains qui les forment et des défis auxquels ils font face.

Ainsi, son ouvrage est présenté comme un « carnet de rencontres », où elle tente de connaître et de comprendre la réalité des Autochtones, mais aussi pourquoi on ignore collectivement l’histoire qui nous lie. La bédéiste utilise l’introspection et la création pour guider ses recherches, ce qui crée un récit engageant et très humain. « Il y a un aspect transformatif à la recherche-création. On veut sortir de cette réflexion avec quelque chose de plus, et on invite le lecteur à en faire autant. »

Un travail de co-création

La quête de l’autrice est ponctuée de témoignages d’une multitude d’intervenants : Autochtones et Allochtones, professeurs et enseignants, membres de sa famille, militants, intervenants et conseillers, artistes, étudiants et j’en passe. C’est pourquoi Mme Dufour voit d’abord sa bande dessinée comme une co-création, où chacun y apporte ses idées, ses réflexions et du sien, pour former un tout plus grand.

Comme il s’agit d’une bande dessinée, on peut voir le visage de chacun de ces intervenants, ce qui rend leur témoignage plus personnel et touchant. D’ailleurs, les illustrations sont magnifiques, souvent captivantes et percutantes, quelques fois mystérieuses. Cela n’empêche pas qu’on doive parfois poser l’ouvrage, pour prendre un moment de recul et laisser une émotion ou une réflexion nous habiter.

La non-rencontre

Si ce sont les rencontres qui animent le récit, c’est la notion de « non-rencontre » qui explique notre ignorance des communautés autochtones. « C’est un effet de la colonisation. […] Tout le monde se souvient, à l’école, du tableau avec les Iroquois et les Algonquiens, très factuel et rigide. Ils sont présentés comme de ternes figurants de l’Histoire. Certains sont des antagonistes, d’autres sont des alliés. Puis ils sont disparus pour les chapitres les plus importants », illustre l’anthropologue.

Autrement dit, leur histoire est déshumanisée : les récits individuels sont absents et les atrocités de la colonisation sont occultées. Mais il faut savoir que cette non-rencontre avec l’histoire des Premiers Peuples, elle est vraie pour les Autochtones aussi. « Eux aussi, c’est l’histoire qu’on leur a enseignée », rappelle Mme Dufour. De plus, les pensionnats autochtones, qui séparaient les enfants de leurs parents et de leur communauté, ont brisé la transmission culturelle entre les générations.

Suite à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a reconnu en 2019 que le traitement passé et présent infligé aux Premières Nations constituait un génocide.

Réappropriation

Heureusement, les communautés autochtones se réapproprient maintenant leur éducation et, par le fait même, leur identité et leur fierté. L’Institution Kiuna, par exemple, est un centre d’études collégiales consacré aux étudiants autochtones. « La beauté de ces institutions, c’est qu’elles permettent aux jeunes de réapprendre leur histoire, leur littérature, leurs penseurs, pour contextualiser leurs défis », se réjouit Mme Dufour.

Avant la réconciliation, il faut d’abord qu’il y ait une vraie rencontre, selon l’anthropologue. « Cette rencontre peut prendre plusieurs formes : avec nos réalités, avec notre propre système colonial, avec notre propre histoire. Ce n’est pas extérieur à nous. Le but, ce n’est pas d’encourager la honte ou le malaise. Au contraire! Il faut oser en parler, dialoguer, déconstruire… »

À ce titre, « C’est le Québec qui est né dans mon pays! » est parfait pour amorcer votre réflexion.

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