(Photo : Michel Guertin Photographe)
Eileen E. Consiglio préférait le titre de maire à celui de mairesse, pour rappeler que c’était elle, et non son mari, qui était élue.
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Quand les femmes sont devenues «maires»

Par Simon Cordeau

En 1957, Eileen-Elisabeth Consiglio est élue « maire » de Piedmont, sans opposition. Elle est alors la deuxième femme, au Québec, a accédé à ce poste, après Elsie Gibbons, élue en 1953 dans le petit village outaouais de Portage-du-Fort. Portrait d’une femme qui a ouvert la voie.

Christiane Brault, de la Société d’histoire et de généalogie des Pays d’en Haut, m’a transmis plusieurs coupures de journaux portant sur Mme Consiligo. En suivant sa carrière, on découvre une femme travaillante et acharnée, mais aussi une époque révolue, où les mœurs et la société sont en pleine transformation.

Dans Le Devoir du 18 juillet 1957, on rapporte l’élection de Mme Consiglio dans la rubrique « La Femme au FOYER et dans le MONDE ». Sur la même page, on retrouve un article sur les bas de nylon, et un autre sur l’accès croissant de l’eau courante dans les chalets, grâce à une nouvelle invention : les tuyaux en plastique.

« Les 1 500 habitants de Piedmont […] ont élu une femme à la mairie. […] Plusieurs des résidants de Piedmont n’y passent qu’une partie de l’année, celles des vacances estivales. C’est le cas de Mme Consiglio qui séjourne à Piedmont durant six mois et passe les autres mois à Montréal. (…) Elle a exprimé l’espoir que le village puisse grandir, situé comme il est aux portes des Laurentides, “dans un magnifique pays facile d’accès”. »

Dans Le Soleil du 19 juillet 1957, on annonce la nouvelle comme une curiosité, aux côtés des faits divers. On qualifie d’ailleurs « Mme Franco Consiglio » (du nom de son mari) de « ménagère modèle ».

Maire ou mairesse?

Dans ces articles, on écrit toujours que Mme Consiglio est élue maire, et non mairesse. Pourquoi? Dans Le Petit Journal du 24 juillet 1960, le journaliste Arthur Prévost écrit ceci dans un photoreportage 

« Mme Franco Consiglio n’aime pas se faire appeler « Madame la mairesse », car son mari n’est pas maire. Cette dame sait manier la parole et l’action politique aussi bien que le fleuret : en effet, elle a déjà été championne d’escrime du Canada. »

À travers les articles, on note plusieurs accomplissements de Mme Consiglio. Alors que des problèmes d’approvisionnement en eau ralentissent la croissance de Piedmont, elle modernise le réseau d’aqueduc. Pour divertir les jeunes (qui n’ont rien à faire à la campagne), elle construit un parc de loisirs et crée une association jeunesse. Elle mène une longue bataille juridique pour fermer un dépotoir clandestin. On note aussi l’amélioration des rues, l’enlèvement de la neige et le sablage des rues en hiver, ainsi que la stabilisation des finances municipales.

Sous son mandat, Piedmont fera l’acquisition de l’ancienne école du village pour la transformer en bureau municipal. Le bâtiment occupe désormais la partie centrale de l’hôtel de ville actuel.

Bien sûr, le tourisme est également l’une des priorités de la première citoyenne. « Je fais tout en mon pouvoir, avec l’aide de mes collègues, pour attirer à Piedmont le plus de monde possible. Et ma foi, il en vient! Le pays est facile d’accès pour les citadins qui recherchent les plaisirs champêtres », est-elle citée dans La Presse du 20 juillet 1961, alors qu’elle vient d’être élue pour un troisième mandat.

« L’immixtion de la femme »

« Le maire de Piedmont nous avoue qu’elle a encore à lutter contre le vieux préjugé de l’immixtion de la femme dans les affaires publiques », peut-on aussi lire dans La Presse. Heureusement, Mme Consiglio constate du progrès depuis ses 4 ans au pouvoir.

Il faut dire que la mairesse, toujours affairée, ponctuelle, disponible et préparée, sait aussi se défendre avec verve. Dans L’Action catholique du 1er septembre 1961, on rapporte qu’à deux reprises, des accusations sont portées contre elle. « L’an dernier, à la première réunion, j’ai invité les édiles à répéter leurs accusations devant moi. Ce fut le silence complet; on aurait entendu plus de bruit dans un cimetière », est-elle citée.

Mme Consiglio restera mairesse de Piedmont jusqu’en 1965. Lorsqu’elle était arrivée en poste, elle s’était engagée « à servir la population de Piedmont et non à se servir », ce qui restera sa maxime durant toutes ses années à la mairie.

Ouvrir la voie

Il faut cependant attendre un certain temps avant que les Laurentides élisent à nouveau une femme à la mairie d’une municipalité. Il est possible que mes recherches soient incomplètes, mais la suivante dans la région est probablement Liane Nightingale. De 1961 à 1976, elle est secrétaire-trésorière de New-Glasgow (qui fusionnera avec Sainte-Sophie en 2000), alors que son mari Harold Nightingale est maire. Lorsqu’elle devient veuve en 1976, elle se présente aux élections et gagne. Mme Nightingale restera en poste jusqu’en 1986.

À Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, la mairesse Violette Gauthier aurait été en poste des années 1980 jusqu’à son décès, en 2003. Par la suite, on note Huguette Blondin-Taylor, mairesse de Saint-Hippolyte de 1981 à 1985, puis Claire Boivin-Boisvert, mairesse de Prévost de 1990 à 1992, et Jocelyne Légaré, mairesse de Saint-Colomban de 1993 à 1997.

Pour d’autres municipalités, leur première mairesse est encore plus récente, comme Louise Gallant à Sainte-Sophie (2013 à 2021), Nadine Brière à Sainte-Adèle (2017 à 2021), ou même Sophie St-Gelais et Janice Bélair-Rolland à Saint-Jérôme (2021).

Certaines municipalités de la région, comme Saint-Sauveur ou Morin-Heights, n’ont jamais eu de femme à la mairie.

Faire sa place

Aujourd’hui, avoir une femme à la tête d’une municipalité peut sembler presque anodin. Les dernières élections municipales ont vu un nombre record de femmes se lancer dans la course et être élues. 

Au lendemain des élections, 23 % des maires étaient des mairesses. Ça peut sembler peu, mais dites-vous qu’en 2017, elles n’étaient que 18,9 %, et en 2005, qu’un maigre 13 %.

Dans la MRC des Pays-d’en-Haut, le conseil des maires est même à parité, avec Danielle Desjardins à Wentworth-Nord, Corina Lupu à Lac-des-Seize-Îles, Catherine Hamé Mulcair à Sainte-Anne-des-Lacs, Nathalie Rochon à Piedmont, et Michèle Lalonde à Sainte-Adèle. Cependant, la MRC de La Rivière-du-Nord n’a élu que des hommes à la mairie.

Droit de vote des femmes au Canada : 1918

Première femme à siéger à la Chambre des communes : Agnes Macphail (1921-1940)

Première femme à représenter les Laurentides au fédéral : Lise Bourgault (1984-1993), dans Argenteuil – Papineau

Droit de vote des femmes au Québec : 1940

Première femme à siéger à l’Assemblée nationale : Marie-Claire Kirkland-Casgrain (1961-1973)

Première femme à représenter les Laurentides au provincial : Solange Chaput-Rolland (1979-1981), dans Prévost

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