Littérature jeunesse : Fuir la réalité dans la DreM
Par Simon Cordeau
Dans le roman jeunesse Le Maître de l’eau de Stéphane Achille, les personnages fuient la réalité, trop difficile et complexe, dans une réalité virtuelle immersive, la DreM. « Ils ont besoin d’avoir un exutoire de la réalité, comme on en a tous un peu besoin. Le problème pour eux, c’est que l’écart entre leur réalité et leur exutoire est tellement marqué, l’attrait de la DreM est tellement fort, que la réalité ne goûte plus rien. Ils n’arrivent plus à apprécier le réel. »
Dans ce monde dystopique, la pénurie d’eau rend la réalité encore plus insupportable, ajoute M. Achille. « C’est de la survie, dans le fond. » À l’inverse, la DreM offre un « monde parfait » où chacun est au centre de l’histoire. Mais le personnage principal, Mrek, réalise lentement qu’il s’agit d’une illusion. « Au départ, il croit qu’il y a un élément de réalité. Mais l’élément déclencheur, c’est quand il réalise que ce n’est pas dans le monde virtuel qu’il faut qu’il se réalise », explique l’auteur originaire de Saint-Jérôme.
L’attrait du virtuel
L’auteur confie qu’il n’est pas lui-même adepte de jeux vidéos. « Mais j’ai des amis qui le sont et on a des discussions là-dessus. Dans une certaine mesure, ce sont des choix prédéterminés. C’est toujours entre A et B. Quelqu’un pourrait faire la carte du jeu. Je voulais démontrer à quel point ça peut être répétitif. » M. Achille, quant à lui, préfère les séries télé, qu’il « mange presque maladivement », confie-t-il. « On a tous besoin d’un exutoire. »
Dans tous les cas, ces mondes qui se présentent derrière nos écrans, dont les réseaux sociaux également, ont un attrait certain. « La réalité, elle, est complexe, nuancée, pas toujours simple. » Ainsi, l’auteur imagine que si la réalité était « encore plus pénible », les mondes virtuels pourraient prendre le dessus.
D’ailleurs, M. Achille travaille déjà sur une suite, où la DreM sera fermée complètement, pour permettre aux citoyens d’expérimenter la réalité pleinement. « Et ça va être un échec retentissant ! », avertit l’auteur en riant. Il ne peut s’empêcher non plus de mentionner Neuralink. L’entreprise d’Elon Musk a installé son premier implant dans un cerveau humain, qui permet au patient de communiquer directement avec un ordinateur. « J’ai sorti le livre à temps. J’ai battu Elon », lance M. Achille en boutade.
Déconnexion
Ce qui caractérise aussi le monde présenté dans Le Maître de l’eau, c’est l’absence presque totale de liens sociaux et de communauté. Les citoyens, après tout, passent l’essentiel de leur temps dans leur petit monde virtuel. « Dans un contexte où personne n’interagit, il n’y a pas de mobilisation possible. Il n’y a pas de mouvements sociaux, pas de révolte, tant que personne ne se parle », illustre l’auteur.
Le roman explore aussi la définition du pouvoir et comment l’obtenir. Pour le Maître de l’eau, qui possède tout, il faut se priver de toute forme de divertissement pour réussir. « Mais cette vision du monde mène à une grande solitude. Tu ne peux amener personne avec toi au sommet. Ce n’est pas sain. »
L’auteur souligne que le pouvoir ultime n’est pas une fin en soi. « Il n’est pas nécessaire, pour reprendre le contrôle sur sa vie, de devenir le chef », illustre-t-il.
Retour aux sources
Bien qu’il habite à Montréal, Stéphane Achille est originaire de Bellefeuille. « J’ai grandi à Saint-Jérôme et je suis parti dans la vingtaine. Depuis cinq ans, j’ai un bout de terrain à Bellefeuille, avec une petite érablière dessus. C’est vraiment un endroit pas très techno : pas d’électricité, pas d’eau courante. »
Il confie passer de plus en plus de temps dans les Laurentides. « J’ai une petite cabane avec un poêle à bois. C’est là que j’ai écrit le livre, principalement. J’ai des panneaux solaires pour recharger les batteries. » Il trouve intéressant d’écrire un roman de science-fiction dans un lieu aussi déconnecté. « C’est beaucoup plus facile de se concentrer si on n’a pas Internet au bout des doigts », illustre-t-il.
Sinon, il passe ses temps libres sur son grand terrain, à travailler, à couper du bois et à « embellir la forêt ».