La politique américaine vue d’ici

Par Simon Cordeau

LES PARTIS POLITIQUES

Durant la campagne présidentielle, la politique américaine paraît omniprésente, spectaculaire et… compliquée. Comment s’y retrouver? Dans cette série d’articles, nous discuterons avec des élus d’ici des grandes idées qui animent nos démocraties. Pour mieux comprendre la politique de nos voisins, il faut d’abord bien comprendre la nôtre, chez nous. Cette semaine, regard sur les partis politiques.

Aux États-Unis, les électeurs devront bien-tôt choisir leur président, mais aussi leur sénateur et leur représentant au Congrès, sans compter les 1001 courses aux niveaux étatique et local, et quelques référendums sur des projets de loi.

Mais au menu, il n’y a que deux partis : les Démocrates ou les Républicains. Il existe bien des tiers partis, mais leur chance de remporter quoique ce soit au-delà du niveau local est, à toutes fins pratiques, inexistante.

Un parti politique, qu’ossa donne?

Pour Rhéal Fortin, député du Bloc québécois dans Rivière-du-Nord, les partis politiques sont essentiels dans une démocratie. « Nous sommes 338 députés à la Chambre des communes. Si chacun siégeait seul, ce serait une cacophonie de oui, de non et de peut-être. »

Comment choisit-on son parti? « On joint un parti parce qu’on adhère au programme, aux idées et à la façon de voir les choses du parti », explique Rhéal Fortin. Toutefois, si les militants (candidats, bénévoles, membres…) choisissent leur parti, ce sont aussi eux qui le définissent. « Les partis, au fond, ils sont contrôlés par un bloc de personnes. Si le Bloc québécois existe avec le programme qu’il a, c’est parce que ses membres en ont décidé ainsi. Et pas à l’unanimité non plus! » M. Fortin raconte que, dans les conventions, les débats sont souvent corsés.

« On obstine, on réfléchit, on échange et on change d’idée parfois. Il y a une richesse!» – Rhéal Fortin

Aux États-Unis, les deux grands partis jouent un peu le même rôle. Frédérique Verreault, chercheure à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, à l’UQAM, explique que les deux partis sont à l’origine des « grandes tentes idéologiques », des coalitions hétérogènes de citoyens avec des préoccupations, des objectifs et des idéologies diversifiées, qui peuvent faire avancer leurs idées en joignant un mouvement commun. Mais cette diversité, aux États-Unis, tend à disparaître…

La ligne de parti

Rhéal Fortin, député du Bloc québécois dans Rivière-du-Nord.

Si certains croient que la ligne de parti brime la libre expression des députés, Rhéal Fortin croit plutôt que c’est une bonne chose. « Ça permet une certaine cohérence et le fonctionnement plus fluide de nos instances. » Ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas de débats entre les députés, mais ceux-ci sont faits à l’interne. Une fois une décision prise entre eux, les députés peuvent présenter un front uni.

Sur des questions plus litigieuses ou morales, le chef du parti peut décider de permettre un vote libre, où chacun vote comme il l’entend. M. Fortin donne l’exemple de l’avortement ou de l’aide médicale à mourir pour les députés conservateurs.

Le désaccord est donc une part essentielle, sinon inévitable, de la démocratie. Mais il y a une manière et un endroit pour l’exprimer. « Il ne faut pas que les députés soient muselés. Je veux pouvoir dire à mon chef : « Je pense que tu te trompes. » »

Aux États-Unis, l’individualiste est maître, et on laisse aux élus une « marge de manœuvre idéologique », explique Frédérique Verreault. Dans les années 60, il était courant de voir les élus voter d’un côté ou l’autre d’un enjeu, rendant le résultat du vote imprévisible. « On parle d’une politique centrée autour du candidat qui est fondamentale aux États-Unis. Chaque candidat peut se positionner comme il veut. »

Depuis les années 70 toutefois, la politique américaine s’est polarisée, lentement mais sûrement. Résultat : tant les Démocrates que les Républicains sont de plus en plus « homogènes » dans leurs positions, leurs votes et leur idéologie.

La ligne de parti est toujours souple et informelle, mais le coût politique pour en dévier est de plus en plus cher. Cela peut rendre une majorité plus difficile à obtenir ou créer des frictions avec les autres membres du parti. Donald Trump a même l’habitude de qualifier les Républicains dissidents de traîtres.

Pour qui vote-on?

« On dit qu’en politique, il y a à peu près 80-90% des électeurs qui vont voter pour le parti. Le candidat peut changer la donne, mais des fois, même pas. » M. Fortin explique que c’est d’abord le parti et son programme qui font sortir le vote et qui rallient les électeurs. « En élections, on se retrouve avec 12 partis, en comptant les tiers partis. Les électeurs ont besoin de s’y retrouver. »

Frédérique Verreault.

Pour un électeur américain, cette clarté est encore plus importante. « Les bulletins de vote sont extrêmement lourds. Il y a beaucoup de décisions », explique Mme Verreault. Les électeurs doivent voter pour une kyrielle de candidats, du président jusqu’au shérif de comté. Sans compter que les élections sont constantes aux États-Unis. Ainsi, les partis donnent des repères idéologiques et facilitent la prise de décision.

Une offre politique diversifiée

Combien de partis politiques faut-il pour une démocratie saine? Pour M. Fortin, c’est une question d’équilibre. « Il faut que l’offre politique soit suffisamment diversifiée pour que l’électeur y trouve son compte. Mais on ne peut pas avoir un parti par électeur! »

Si l’offre politique vous déplaît, vous pouvez toujours… partir votre propre parti! « René Lévesque l’a fait, avec le Parti québécois. Lucien Bouchard l’a fait, avec le Bloc québécois. » Il vous reviendra alors de vendre votre idée, d’y rallier les électeurs et, peut-être, de faire quelques compromis pour y arriver.

Les électeurs américains n’ont toutefois pas ce luxe. Les deux grands partis sont tellement intégrés à la réalité politique américaine qu’il est difficile pour Mme Verreault d’imaginer une alternative. « Aujourd’hui, c’est toute une structure organisationnelle, avec des liens bien établis. Ce sont des énormes machines. »

Cependant, il y a toujours la possibilité de changer les partis de l’intérieur, ou de revenir à une politique moins polarisée et moins conflictuelle. C’est ce que promet Biden. Mais c’est, aussi, ce qu’avait promis Obama…

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