(Photo : Nordy )
Une famille ukrainienne habite temporairement au presbytère de Sainte-Adèle.
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Immigration : Trouver un toit pour rebâtir sa vie

Par Ève Ménard

L’immigration est régulièrement politisée, débattue et médiatisée au Québec. Mais derrière les chiffres, qui sont les nouveaux arrivants? Comment les accueille-t-on concrètement dans les Laurentides? Quels défis guettent les personnes immigrantes installées en région? Ce dossier se décline sur quatre éditions et propose d’aborder les enjeux de l’immigration, de détailler les services offerts aux nouveaux arrivants, et de mettre en lumière les belles histoires de nos communautés. Deuxième texte d’une série de quatre. 


L’accès à un logement abordable et de qualité est l’un des principaux défis dans l’accueil des personnes immigrantes dans les Laurentides.

En matière d’intégration en région, le logement a toujours été une problématique, dit Marie-Laure Dioh, chercheuse sur les questions de régionalisation de l’immigration. La crise du logement vécue à la grandeur du Québec exacerbe cette réalité. Non seulement les logements sont rares, mais les loyers sont extrêmement élevés.

Du jamais vu

Line Chaloux, directrice générale et fondatrice du Coffret.

« Il n’y a plus de logements pas chers. Ça n’existe plus », affirme Line Chaloux, directrice et fondatrice du Coffret. Il arrive que des travailleurs temporaires soient logés par leur employeur dans des logements ou des maisons pour lesquels ils paient jusqu’à 1 000 $ par mois, par chambre. « C’est déduit directement de leur paye », explique Mme Chaloux.

Le retard dans la fonction publique n’améliore pas la situation. Lorsque les réfugiés pris en charge par l’État arrivent à Saint-Jérôme, ils possèdent le statut de résident permanent. Celui-ci leur donne accès, notamment, aux allocations familiales. Mais ça peut prendre jusqu’à six mois pour les recevoir. « Avec le prix des loyers, on est obligé de faire des montages financiers avec eux et de leur avancer de l’argent. On fait des ententes de versements pour qu’ils survivent jusqu’à ce qu’ils reçoivent les allocations », explique Line Chaloux. Cet argent est puisé directement dans les poches de l’organisme.

Des propriétaires s’enrichissent sur le dos de l’immigration

Monique Côté travaille au Carrefour d’actions populaires de Saint-Jérôme, qui défend les droits des locataires. « C’est extrêmement difficile pour n’importe qui de trouver un logement. Imaginez pour une personne immigrante qui a peu d’argent ou qui reçoit l’aide sociale », affirme Mme Côté.

La première chose dont le nouvel arrivant a besoin, c’est d’un logement. Certains promoteurs prennent avantage de cette situation. « Des promoteurs à Saint-Jérôme évincent de toutes sortes de manières des locataires qui payent moins cher pour y loger d’autres personne à 300 ou 400 $ de plus par mois. Ce sont souvent des nouveaux arrivants », indique Monique Côté. Bien sûr, c’est illégal. Mais une fois qu’un bail est signé, la personne doit faire valoir ses droits dans les dix jours suivant la signature. Sinon, il n’y a plus grand-chose à faire. « Mais une personne immigrante, croyez-vous qu’elle connaisse cette règle ? »

Selon Monique Côté, il ne s’agirait que de la pointe de l’iceberg. Il est impossible de chiffrer le phénomène, puisque peu de personnes immigrantes font appel aux services du Carrefour d’actions populaires. Quand ils le font, c’est souvent par l’entremise de voisins qui les redirigent vers cette ressource.

Éviter de travailler en silo

Les solutions pour remédier à cette pénurie de logements abordables sont rares et les actions, trop dispersées. « Le travail se fait un peu en silo. On n’est pas trop au courant de ce qui se met en place ou de qui fait quoi », souligne Nathalie Honoré, coordinatrice des services spécialisés pour personnes immigrantes au CIE Laurentides. Même son de cloche chez Louise Jacques, secrétaire du Comité Ukraine Laurentides. Malgré une volonté de concertation pour accueillir les familles ukrainiennes, le travail finit toujours par tomber en silo, déplore Mme Jacques.

Dans la MRC de La Rivière-du-Nord, le Coffret veut justement favoriser la coresponsabilité et la mobilisation des acteurs concernés pour créer un Consortium Habitation. Son objectif principal est d’assurer un hébergement adéquat et sécuritaire aux personnes immigrantes, le plus rapidement possible. Le Consortium est présentement en période de construction, indique Line Chaloux. Il compte parmi ses membres des propriétaires de logements, des employeurs et des organisations comme le CISSS des Laurentides et le Cégep de Saint-Jérôme. L’une des premières cibles est de soutenir les entreprises dans la recherche de solutions pour loger les travailleurs temporaires et qualifiés.

Hébergés gratuitement au presbytère

Plus au nord de Saint-Jérôme, dans la MRC des Pays-d’en-Haut, les logements sont tout simplement inexistants. C’est le plus

Le presbytère de Sainte-Adèle permet d’héberger des parents ukrainiens, avec leurs enfants.

gros défi, selon le Comité Ukraine Laurentides.

Le Comité, piloté par le curé de Sainte-Adèle, André Daoust, et Louise Jacques, a accueilli cinq familles ukrainiennes. La première est arrivée le 12 mars 2022. Composée des deux parents et de trois enfants, la famille Viau-Lysenko est demeurée gratuitement dans le presbytère de Sainte-Adèle jusqu’en août, en attente de trouver un logement. « Quand j’ai eu le téléphone pour cette famille, je ne me suis même pas posé la question à savoir où on allait les loger. Il n’y en a pas de logements. Alors on s’est tassés au presbytère », raconte le curé Daoust.

Le père, Alexandre, est québécois. La mère, Liudmyla, est ukrainienne. Après quelques années passées au Québec, le couple avait finalement décidé de s’installer en Ukraine et d’offrir aux enfants l’éducation ukrainienne. « Je pense que c’est la meilleure éducation », affirme Liudmyla en riant. Mais la guerre a tout changé. La famille n’a pas eu d’autres choix que de partir pour le Québec. « Ce sont des gens de bonne volonté. Ils veulent se faire une nouvelle vie et s’intégrer. On veut leur donner un temps de répit, parce qu’ils ont vécu des traumatismes qu’on peut à peine imaginer », confie Louise Jacques.

« On ramasse les miettes »

La famille Viau-Lysenko est maintenant installée à Saint-Sauveur. Après leur départ du presbytère en août 2022, une autre famille ukrainienne a pris leur place. Elle y demeure toujours, gratuitement. À Prévost, le Ville et la paroisse Saint-François-Xavier ont transformé le deuxième étage du presbytère pour accueillir des réfugiés ukrainiens. La quatrième famille, la famille Kotyck, est installée dans une vieille maison sur la rue Principale à Saint-Sauveur. Mais c’est temporaire. D’ici un an ou deux, elle sera démolie, souligne André Daoust.

Enfin, le Comité Ukraine Laurentides était à court de solutions pour loger Kateryna Shalaieva et ses deux enfants, en début d’année. On comptait transformer un bâtiment d’accueil pour les patineurs, situé à Morin-Heights. Finalement, le matin même des rénovations, un homme a proposé un appartement à louer à Morin-Heights. « Avec le bouche-à-oreille, ça finit par aboutir, mais c’est lourd. C’est une grosse machine à pousser », déplore Louise Jacques. « On ramasse les miettes qu’il reste pour trouver des endroits où loger les familles », ajoute le curé Daoust.

Louise Jacques, André Daoust et Liudmyla.

Nouvelle vie

Liudmyla est particulièrement reconnaissante de l’aide qu’elle et sa famille ont reçue. Elle accompagne d’ailleurs le Comité dans l’accueil des nouvelles familles. « Ils nous ont donné un bon coussin pour commencer une nouvelle vie. J’ai senti leur support et ça m’a donné confiance. Je ne me suis pas sentie seule », dit-elle.

Les trois enfants ont aujourd’hui 10, 12 et 14 ans. Ils fréquentent l’école de la Vallée à Saint-Sauveur et l’école Augustin-Norbert-Morin à Sainte-Adèle. « Ils sont heureux ici. Leur français est de mieux en mieux, ils ont des amis et les professeurs sont très gentils », raconte Liudmyla. « En raison de leur âge, ils étaient quand même attachés à l’Ukraine et à leurs amis là-bas. C’est un peu difficile, ils voudraient y retourner. Mais c’est impossible », ajoute leur mère.

Alexandre travaille comme programmeur. Liudmyla s’est trouvé un emploi comme surveillante du diner, à l’école de la Vallée. Elle a commencé les cours de francisation le 27 mars dernier. Ça lui a pris plus de trois mois pour obtenir une place en francisation. Une fois le logement trouvé, d’autres défis guettent les personnes immigrantes dans les Laurentides : francisation, insertion professionnelle et transport. Ces enjeux seront au cœur du prochain article, à paraître dans l’édition du 19 avril.


Lisez également : Qui accueille-t-on dans les Laurentides ?

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