Ferme Forget : Virage nécessaire pour arriver à l’autonomie alimentaire
Par Luc Robert
Pour parvenir un jour à l’autonomie alimentaire, les agriculteurs du Québec devront adapter leurs procédures et convaincre la population qu’un coût additionnel sera rattaché à cette conversion. Le Journal en discute avec la ferme Forget.
Si le concept semble attrayant sur papier, l’appliquer consistera en de multiples défis remplis d’embûches.
« L’autonomie alimentaire, ça va se jouer avec les accords d’échanges commerciaux avec nos partenaires et les différentes cultures disponibles par région, versus les coûts. Si pour les serres, ça ne coûte pas si cher (à date) au niveau de l’électricité, tout peut changer rapidement. Il y a certains types d’établissements hivernaux qui ne peuvent être chauffés au gaz, au propane ou à l’huile. Une humidité doit être conservée, etc… Si ça devient une priorité du gouvernement, ça va se faire. Mais les gens trouvent déjà que (le coût de) l’épicerie est élevée. Que diront-ils si ça augmente encore ? Car, une portion des changements technologiques d’équipements des agriculteurs entraînera des coûts additionnels », a songé à haute voix Olivier Forget, de la célèbre ferme Forget de Saint-Jérôme.
Une tendance qui grandit
Développer ses propres cultures ira aussi selon les spécificités de chaque région.
« Dans les Basses-Laurentides, la culture du blé, du maïs (grains) et du soya, généralement, cela se rentabilise. Selon les climats, des régions ont des spécificités. En Abitibi, c’est le foin et le grain qui fonctionnent bien. Au Lac-Saint-Jean, le canola est produit à une certaine échelle. Le froid et les éléments affectent les cultures, surtout en les développant hors-saison. Il y a aussi la bourse commerciale de Chicago, où les spéculateurs s’en donnent à cœur joie et causent des fluctuations en jouant avec le prix des denrées. Ils transigent et les prix deviennent difficiles à prédire. »
Que les agriculteurs ou les privés décident de se tourner vers l’autonomie alimentaire à petite échelle semble une tendance qui va grandir.
« Ça va prospérer, pour ceux qui prendront le risque d’investir. Les petits semblent condamnés. C’est un cercle vicieux : si tu as investi à échelle moyenne, mais variée, tu vas te renflouer dans une autre culture, lorsque les prix tombent. »
« Ceux qui n’investissent pas peuvent être pris dans un cercle vicieux, avec une seule culture, quand les prix maraîchers chutent, par exemple. » – Olivier Forget
Contexte difficile
D’où l’importance d’emprunter le tournant selon les capacités de chacun.
« Quand tu veux mécaniser tes opérations et qu’un tracteur de 150 forces est rendu entre 250 000 et 300 000 $ sur le marché neuf, tu y penses à deux fois. Même aux États-Unis, ils gardent leurs tracteurs usagés et retardent les modernisations de flottes. Ils gardent leurs machines, même si les pièces ont aussi monté de façon démesurée. On est rendu à un tournant dans le milieu agricole. Si le gouvernement subventionne par exemple l’achat d’équipement, pour qu’on produise localement, ma crainte est que ça se répercute sur l’impôt des particuliers. Alors ? On ne s’en sort pas. Tu restes dans le contexte actuel, c’est très difficile. Tu investis pour devenir autonome de cultures, cela a aussi un coût. Les Américains bifurquent vers l’autonomie alimentaire, mais leur modèle de production a été développé via l’exportation. Et ici, tu es pris avec les accords commerciaux signés avec eux. Tu ne peux pas redéfinir la carte sans respecter ces ententes. »
Quatrième génération
Plus grande ferme du secteur Lafontainois, les Forget ont décidé de poursuivre leurs opérations en développant à nouveau.
« Quand tu es plus grand, il y a toujours des économies d’échelle à faire. Mon frère et moi, mes oncles, on veut poursuivre les opérations de la terre, éviter que ça stagne. On veut prendre de l’expansion, mais pas trop. On cultive 400 hectares et on loue une autre terre, mais sans plus. Puis, on veut continuer à pouvoir nourrir notre troupeau (de vaches laitières). On a établi un nouveau bunker d’ensilage à grain (maïs à vache). Et on aimerait aussi améliorer le confort de nos animaux, en agrandissant l’étable. On a obtenu le permis de l’environnement. On va maintenant négocier avec Saint-Jérôme. Le milieu a changé : il faut être efficace. C’est une entreprise et tu dois être prévoyant pour demeurer rentable. »
Olivier Forget est content de voir qu’une quatrième génération se pointe pour prendre la relève à la terre ancestrale de son grand-père, Paul-André Forget.
« Mon fils Ulric a appliqué au Collège agricole de Saint-Hyacinthe (Institut de technologie agroalimentaire du Québec). Il achève son secondaire. J’ai 5 enfants. On verra ce que les autres décideront dans leur vie, au fur et à mesure. On pense à moyen terme, mais on fait attention. »