Diversifier leurs revenus : Le défi des municipalités
Partout dans les Laurentides, les municipalités ont haussé leur taux de taxation. À Saint-Sauveur, on parle d’une hausse de près de 8 %, et à Saint-Jérôme, de 9,8 %. D’autres municipalités ont même dû augmenter leurs taxes en haut de 10 %, comme à Wentworth-Nord (12 %) et à Sainte-Anne-des-Lacs (17,1 %).
L’effet de l’inflation se fait ressentir dans toutes les municipalités, alors que les gouvernements provincial et fédéral voient leurs revenus augmenter. Pourtant, les municipalités dépendent encore des taxes foncières, qui représentent en moyenne 70 % de leurs revenus, un problème relevé par plusieurs.
« Les municipalités ont dû faire des choix difficiles. Certaines ont augmenté les taxes, d’autres ont dû réduire la prestation de services aux citoyens ou piger dans leur fonds de prévoyance, comme elles ne peuvent pas faire de déficit », explique Patrick Lemieux, conseiller aux communications et aux relations médias à l’Union des municipalités du Québec (UMQ).
Plus de services, moins de revenus
C’est qu’à la base du système des municipalités, celles-ci avaient comme but d’offrir des services à la propriété, comme la gestion des routes et des matières résiduelles, rapporte M. Lemieux. Puis, depuis les dernières années, le gouvernement a transféré de plus en plus de responsabilités aux municipalités. On parle notamment des services à la personne, du développement économique, de la vie communautaire et culturelle, ou encore de l’environnement.
Toutefois, malgré tous ces nouveaux services, le système fiscal municipal repose encore sur les taxes foncières. « Les municipalités sont prises dans un carcan. Il y a une demande de la part des citoyens d’offrir plus de services de proximité, mais elles sont limitées au niveau des revenus », souligne M. Lemieux.
Dans des municipalités comme Sainte-Anne-des-Lacs, les revenus fonciers ont baissé en 2022, puisqu’il y a eu moins de ventes de maisons en 2022, explique la mairesse, Catherine Hamé Mulcair. Les revenus des droits de mutation immobilière (taxe de bienvenue) sont passés de 950 000 $ à 600 000 $ cette année.
Développement vs protection
Les municipalités sont aussi prises avec un autre dilemme. Comment augmenter ses sources de revenus – qui proviennent des taxes foncières – tout en protégeant les espaces naturels sur le territoire ? « La question est sur toutes les lèvres », dit Catherine Hamé Mulcair. « La réponse facile : c’est la densification. »
La dépendance des municipalités aux taxes foncières favorise l’étalement urbain, plutôt que la densification, indique le conseiller aux communications de l’UMQ. C’est moins rentable de densifier, ce qui est problématique dans un contexte de lutte contre les changements climatiques, dit M. Lemieux.
« Dans les Pays-d’en-Haut, on a à la fois une crise du logement et de la biodiversité. Comment on fait pour construire davantage tout en conservant la nature ? Il faut sortir de ce qu’on connait en urbanisme », souligne Mme Hamé Mulcair.
Diversifier les revenus
Le maire de Saint-Jérôme, Marc Bourcier, mise surtout sur les subventions des gouvernements pour diversifier les sources de revenus de la Ville. « On est très positifs par rapport à cet aspect. On a de bons contacts avec le gouvernement, comme on n’a jamais eus à Saint-Jérôme. Les subventions vont nous aider dans notre budget », dit-il.
Pour diversifier les revenus, les municipalités peuvent notamment faire appel à la redevance règlementaire. Celle-ci « permet de générer des revenus appréciables, de pérenniser des services publics et des infrastructures, et d’orienter les choix de la population pour, par exemple, encourager des comportements écoresponsables », indique un article dans le magazine URBA de l’UMQ. La redevance peut s’appliquer à plusieurs domaines et acteurs.
La Ville de Saint-Colomban a déployé par exemple la redevance au développement. Celle-ci vise à partager les coûts générés par la croissance immobilière. Le règlement concerne toute nouvelle construction de maison ainsi que les unités de logement se situant à l’extérieur du périmètre urbain, apprenait-on dans le journal Le Nord en 2021. Cette contribution était d’environ 6 000 $ en 2021.
« Dans les nouveaux pouvoirs octroyés aux municipalités par le projet de loi 122, il y en a pour tous les goûts. Pour Saint-Colomban, par sa croissance et sa situation géographique, c’est facile d’appliquer la redevance au développement puisqu’on sait que cela aura un impact minime sur l’offre et la demande », rapporte Xavier-Antoine Lalande, maire de Saint-Colomban et préfet de la MRC de La Rivière-du-Nord.
À Saint-Adolphe-d’Howard, on a introduit une taxe commerciale cette année. Celle-ci permet de diversifier les revenus. Ce n’est pas le cas à Sainte-Anne-des-Lacs qui a seulement une taxe résidentielle. « Les plus petites municipalités ont moins de variété dans leurs revenus », soutient Mme Hamé Mulcair.
Environnement
Avec les changements climatiques, l’écofiscalité est de plus en plus populaire auprès des villes. Cet outil permet à la fois d’avoir de nouveaux revenus et d’encourager les bons comportements. Par exemple, la Ville de Prévost a adopté un règlement qui impose une redevance lors de l’achat d’un produit de plastique à usage unique, comme les bouteilles d’eau, les verres ou les assiettes. L’argent récolté grâce à la redevance va dans un fonds spécial qui servira à financer des initiatives vertes.
« Les municipalités ont différents outils à leur portée, mais elles n’ont pas autant de pouvoir de taxation que les gouvernements provincial et fédéral. Puis, elles dépendent beaucoup plus qu’ailleurs dans le monde des taxes foncières », rapporte M. Lemieux. « À l’UMQ, on travaille à faire connaitre ces outils en offrant des formations par exemple. »
Il reste que les options sont limitées pour les municipalités au Québec quant à leurs revenus. Il faudrait que Québec change les règles. « Les négociations du prochain pacte fiscal auront lieu l’année prochaine. On va encore essayer de proposer des avenues pour diversifier davantage les revenus des municipalités pour leur permettre de remplir leurs responsabilités. On veut s’assurer de l’équité entre les ressources et les responsabilités », soutient M. Lemieux.
[Écrit avec des informations de France Poirier]